Le jour triomphal – lettre sur l'origine des hétéronymes

L’un des aspects les plus fascinants de l’œuvre de Fernando Pessoa réside dans le déploiement de son écriture sous des noms multiples, appelés hétéronymes (du grec heteros, « autre », et onyma, « nom »). À la différence d’un simple pseudonyme, l’hétéronyme est un véritable personnage, doté d’une biographie, d’une personnalité et d’un style littéraire propre. Ils sont trois principaux – Álvaro de Campos, Alberto Caeiro et Ricardo Reis – auxquels s’ajoute un « semi-hétéronyme », Bernardo Soares, auteur du Livre de l’Intranquillité.

Le texte le plus éclairant sur ce phénomène est une lettre écrite en 1935 par Pessoa lui-même, l’année de sa mort, adressée à son ami et admirateur Adolfo Casais Monteiro. Dans ce texte au style torrentiel, l’écrivain raconte la naissance de ses hétéronymes, leurs causes psychiques (liées, selon lui, à son « hystéro-neurasthénie »), sa tendance à inventer des personnages depuis l’enfance, ainsi que la biographie et les convictions de chacun d’eux.
L’expression « Le jour triomphal » vient précisément de cette lettre : Pessoa l’emploie pour désigner la journée où surgirent ses principaux hétéronymes — un moment fondateur qui allait donner naissance à une œuvre poétique multiple, égale en force à celle de Pessoa lui-même. Cette invention a largement contribué à façonner le mythe Pessoa.

Lorsqu’on découvre Pessoa au lycée au Portugal, c’est souvent par ce texte que l’on entre dans son univers. Il permet de comprendre, de manière à la fois claire et ludique, le dispositif des hétéronymes et la diversité de leurs voix. C’est un texte plein d’humour, d’une lecture accessible, qui répond aux questions essentielles : quoi, qui, comment et quand.