entretien à retrouver sur Libfly, réseau social de lecteurs !

Rencontre avec l’écrivain brésilien autour de son livre publié aux éditions Chandeigne, placé sous le signe d’une ambiguïté entre réalité et fiction, des inspirations diverses…Attention : des conseils de lecture sont à retrouver dans cet interview également!

Aurélie Libfly : À Lisbonne j’ai pensé à toi est le récit que vous donne à entendre de son existence Sergio de Souza Sampaio, qui est le narrateur réel de votre texte. Sérgio de Souza Sampaio est un brésilien né dans une petite ville, qui immigre dans la capitale du Portugal. Est-ce la rencontre avec Sergio de Souza Sampaio qui fait votre livre ou le désir de ce livre qui fait cette rencontre ?

Luiz Ruffato : La première chose à questionner est justement l’existence ou non du personnage Sergio de Souza Sampaio. En vérité, son existence, réelle ou fictionnelle, n’est qu’une simple spéculation, puisque s’il se met à exister pour le lecteur alors il existe véritablement.

D’ailleurs, je crois beaucoup plus en la réalité de la fiction qu’en la réalité du réel. Ainsi il est possible de répondre à cette question de la manière suivante : c’est de cette “rencontre” avec Serginho qu’est née la volonté d’écrire ce livre – mais Serginho a commencé à exister lorsqu’il est devenu personnage… Ou : pour devenir réel, Serginho a dû être crée comme personnage.

 

Aurélie Libfly : Que se passe-t-il de si spécial dans ces entretiens pour que vous ayez envie de les restituer tels quels (ou quasiment) dans un livre dont la forme est pourtant assez éloignée du documentaire ? Qu’est-ce qui vit suffisamment dans le récit de Sérgio pour vous donner envie de la garder brute alors que vous auriez pu l’utiliser comme matière première d’un roman?

Luiz Ruffato : De nouveau, qui vous garantit que cet entretien a véritablement eu lieu ? Cela peut être une astuce du narrateur pour offrir plus de réalité à la fiction. J’ai pour principe de ne pas répéter la même structure romanesque dans chacun de mes livres. Chaque histoire racontée exige, pour moi, une forme spécifique. Dans ce livre, par exemple, je paraphrase le “roman-documentaire”. Bien sûr, peut-être que si ce personnage existe, ou s’il existait, son histoire pourrait servir de base pour un roman – mais, « À Lisbonne j’ai pensé à toi », n’est-il pas un roman ?

 

Aurélie Libfly : Le titre de votre livre annoncerait volontiers un récit de vacances, la table des matières de votre texte « Comment j’ai arrêté de fumer », « Comment j’ai recommencé à fumer » pourrait être la parodie d’un livre de développement personnel… Quel rôle joue l’humour dans votre texte ?

Luiz Ruffato : Je suis d’accord, il y a beaucoup d’humour dans le livre. Mais l’humour conscient n’appartient qu’au narrateur qui a organisé le livre et à ses deux parties qui le composent, l’humour restant, qui est présent dans l’histoire même, est un humour involontaire. C’est l’humour que le lecteur capte grâce à la vision du monde provenant du côté innocent de Serginho, ou plutôt de son manque de compréhension de ce qui se passe autour de lui. Pour le protagoniste, l’histoire qu’il nous raconte n’a rien de drôle. Pour lui, l’histoire qu’il raconte est tragique… C’est le regard sans malice de Serginho qui nous fait rire mais d’un rire amère…

Aurélie Libfly : Les 4 entretiens qui disent, entre autres, la succession de désillusions qui transforme le voyage de Sérgio de Suza Sampaio, parti du Brésil parce que Lisbonne semble « le bon endroit pour qui n’est pas allergique au travail », en galère ont été réalisés en 2005. Est-ce que, 10 ans plus tard, cette idée selon laquelle Lisbonne est le bon endroit circule encore, de manière intacte, à Cataguases, la ville d’origine de Sérgio ?

Luiz Ruffato : En vérité, plus que le Lisbonne spécifiquement, l’Europe et les États-Unis restent des options pour qui n’entrevoient pas de perspectives d’emploi au Brésil. Il y a eu un moment, qu’on peut identifier comme correspondant au second mandat du gouvernement Lula, pendant lequel le Brésil semblait bien s’orienter. Les jeunes, principalement, pouvaient rêver à rester au Brésil et avoir des perspectives d’amélioration de vie. Cette illusion s’est évanouie lors du premier mandat de Dilma Roussef et le pays s’est transformé de nouveau en cauchemar. Les taux de chômage et d’inflation du pays ont augmenté, les systèmes d’éducation et de santé sont entrés en collapse, la violence a atteint des niveaux très hauts et émigrer est réapparu comme une option pour les jeunes sans perspective.

Aurélie Libfly : Comme vous ne le savez peut-être pas, vos réponses seront publiées sur libfly.com, un site sur lequel les gens échangent des avis, des conseils de lecture… et de mon côté, je crois savoir que vous êtes un des fondateurs de « Igreja do Livro Transformador », un mouvement laïque qui croit en la capacité de la lecture à changer radicalement et subtilement les personnes. Auriez-vous à votre tour, envie de nous parler d’un livre dont la lecture a été importante pour vous ?

Luiz Ruffato : La littérature française de manière générale a été fondamentale pour ma formation en tant qu’individu – et donc, aussi comme lecteur et plus tard comme écrivain. J’ai pour objectif de lire l’immense oeuvre de Balzac (J’ai déjà lu beaucoup de ce qui compose la Comédie Humaine), j’ai sur ma table de chevet Les Fleurs du mal de Baudelaire. Et j’accompagne avec curiosité ce qui se fait dans la littérature contemporaine par  les romanciers et les poètes français.