JO : pourquoi le public brésilien siffle-t-il autant les athlètes étrangers ?

Michel Raspaud, sociologue spécialiste du sport brésilien, analyse le comportement des supporters brésiliens pendant ces Jeux Olympiques

Les larmes de Renaud Lavillenie sur le podium du saut à la perche, mardi soir à Rio, resteront comme l’une des images fortes de ces Jeux. Hué pendant le concours, puis au moment de la remise des médailles, l’athlète français s’est senti “humilié”. Si cet épisode a été particulièrement médiatisé notamment en France, les sifflets du public brésilien ont retenti à de multiples reprises depuis l’ouverture des JO.

Pour un autre Français, Teddy Riner, tout d’abord, mais aussi pour des sportifs toutes nationalités confondues, pendant la finale de tir au pistolet à 10 mètres au premier jour de la compétition, au cours des matchs du tennisman argentin Juan Martin Del Potro… Étonnant ? Pas vraiment, répond le sociologue spécialiste du sport brésilien, Michel Raspaud (1).

Le Brésilien est-il plus “chaud” que les autres ?

Je ne pense pas qu’il y ait une différence réelle entre les publics brésilien et hispaniques. Ce sont des latino-américains, pour lesquels l’émotion et l’enthousiasme viennent tout de suite et d’une manière très intense. Cela explique pourquoi les choses peuvent aller très vite dès que l’on est dans le sport. Les Brésiliens me semblent un peu moins virulents que les Argentins, même si – et on en entend assez peu parler en France – il y a chaque année de nombreux supporters de foot décédés.

Comment expliquer de tels comportements ?

Cela fait partie des traits caractéristiques de l’Amérique latine. La question de l’identité nationale est très présente même si ce n’est pas l’image que l’on en a, nous, en France. Porter un drapeau, un maillot, c’est un symbole fort là-bas. N’oublions pas non plus que ce pays a une histoire très récente, tout comme les États-Unis d’ailleurs. Nous avons une histoire millénaire, le Brésil est indépendant depuis 1822. La fierté d’être Brésilien n’est pas la même que celle d’être Français.

Est-ce du à une méconnaissance de certains sports ?

Il faut d’abord savoir que le sport se développe énormément, en même temps que la classe moyenne depuis dix ou quinze ans. L’économie est très forte, l’intérêt médiatique l’est de plus en plus. Même si le football attire le plus grand nombre de spectateurs, le volley vit très bien, le basket aussi, à un niveau moindre… Pour les autres sports, c’est un peu plus difficile. Après, une méconnaissance par exemple de l’athlétisme ? Oui et non. Le Brésilien qui a battu Lavillenie n’était pas un inconnu. Ils ont aussi eu Fabiana Murer à la perche. Et ils ont organisé les Jeux panaméricains en 2007.

Le sport est-il vécu comme un exutoire ?

Le Brésil vit très mal sa situation politique, économique et sociale actuelle. Effectivement, les réussites sportives sont perçues comme des exutoires, une éclaircie, la reconquête d’une fierté nationale. Si l’équipe nationale gagne l’épreuve de football, cela sera en outre vécu comme une réhabilitation après ce qu’il s’est passé lors de la Coupe du monde 2014 (humiliation face à l’Allemagne en demi-finale, à domicile, sur le score de 1-7, NDLR).

L’Argentine, c’est le pire ennemi ?

Le rival absolu ! C’est une vieille histoire de concurrence entre les deux plus grandes nations d’Amérique du Sud. Au milieu des années 1920, le Brésil avait envoyé une sélection comportant des joueurs noirs pour disputer la Copa America (l’équivalent local de l’Euro de foot) en Argentine. Ils avaient reçu des insultes racistes toute la compétition.

Propos recueillis par Vincent Romain – 23/08/2016