Demain, je vivrai

José Vieira, fils de travailleur portugais, fait le récit de son enfance dans un bidonville. Un texte fort, pudique et politique.

À l’école, il se tient à carreau. En quelques mois, il a appris le français, appris à encaisser les railleries des autres gosses. Il ne connait pas les feuilletons de l’époque, Zorro, Thierry la fronde. Chez lui, il n’y a pas la télé encore moins l’électricité. Quant à l’eau, il faut vaincre une boue gluante pour aller remplir les seaux. La maison de José Vieira, c’est une baraque, une parmi tant, plantée le long de la national 20, du côté de Massy. Au loin, des immeubles qui, le soir, s’illuminent comme un rêve inaccessible. Le village de José Vieira s’appelle Bidonville. Il a 6 ans quand, avec sa mère, ses frères et sœurs, il découvre l’univers de son père « engagé dans la main-d’œuvre étrangère ». Dans les années 1960, la France a besoin de bras. Au Portugal, hommes et femmes fuient, certains la misère, d’autres la dictature et ses guerres coloniales. Ils échouent dans la boue.

Il y a cinquante ans, un 25 avril, tombait le régime salazariste et fleurissaient les œillets aux fusils. Aujourd’hui, José Vieira signe avec Souvenirs d’un futur radieux un récit de toute beauté, sensible et pudique, poétique et politique : « Les mutins partaient à la tombée de la nuit, risquant leur peau mais plus rien ne semblait pouvoir arrêter l’hémorragie. » Le rêve d’une vie meilleure ! « C’était un soulèvement clandestin, silencieux. Des femmes insoumises, des jeunes sans horizon ni espoir se faisait la malle. Des hordes de proscrits traversaient la nuit, les rivières, les montagnes, les frontières hostiles. Ils s’évadaient. » Son écriture capte des images sans souci de chronologie, elle va au fil des émotions, des colères, chemine apaisée et transforme son histoire intime en histoire universelle. Impossible dès lors de ne pas songer à Mario Rigoni Stern, à ses Sentiers sous la neige (La fosse aux ourses, 2000), même talent de conteur, même soif de vérité.

José Vieira raconte son père le forgeron avec une tendresse sans bornes. Il est fier d’être le fils de ce travailleur infatigable, trop humain, trop soumis, fervent admirateur de la Vierge épouvanté par l’arrivée probable des communistes… Avec ses mots clairs, Vieira cogne sur l’histoire qui bégaie, se répète, ou sombre dans l’oubli, et fait u vœu : « Faisons de notre mémoire un lieu ouvert, un lieu en commun où les exodes du présent interrogent une histoire qui refusent de se taire. » Les étrangers aujourd’hui comme ceux d’hier n’attisent-ils pas encore peurs et haines ? Il donne de la frontière de multiples facettes. Elle n’est pas une ligne sur une carte ou même un mur ou du grillage. Pour José Vieira, la frontière est un passage entre le passé et le présent. Il dit aussi que « traverser la frontière, c’est s’arracher du bidonville. C’est apprendre les mots pour se défendre, c’est vaincre le mépris des autres et la haine de nous-mêmes. (…) Traverser la frontière, c’est se défaire de la paralysie d’être écartelés entre deux mondes. » C’est habiter le présent, c’est oser dire demain, je vivrai, c’est se demander comment se sentir pleinement d’ici après avoir eu tant d’embûches à déjouer.

Même s’il pense avoir oublié « la musique de la langue de son enfance », José Vieira touche juste. Il nous émeut et nous réjouit : son texte explose de vitalité.

Martine Laval – Le Matricule des Anges – Avril 2024

José Vieira, la mémoire des Français du Portugal

Il est l’auteur d’une trentaine de documentaires sur l’immigration portugaise. À 66 ans, il publie son premier livre, inspiré de ses carnets de réalisateurs

Sa priorité, maintenant, est d’écrire. Après avoir relaté l’immigration portugaise dans une trentaine de films – dont La photo déchirée et Le Printemps de l’exil – José Vieira raccroche. Il y a des choses qu’un film ne peut ni dire ni montrer, confie par téléphone le cinéaste né en 1957 au Portugal est arrivé en France dans le bidonville de Massy, à l’âge de 7 ans. Même avec cette voix off poétique qui fait sa marque. Cette «frustration» est à l’origine de son premier livre, qui paraît aux éditions Chandeigne dans la nouvelle collection « Brûle-Frontières ». L’ouvrage est intitulé comme l’un de ses films : Souvenirs d’un futur radieux. Il est en fait composé de cinq textes, dont certains portent d’autres titres de films, comme s’ils en constituaient la part manquante. José Vieira veut mettre de la littérature là où il y a une absence de récits. Un comble pour une immigration portugaise en France qui concerne 700 000 personnes dans les années 1950–1970. « On ne peut pas expliquer ce silence en se référant uniquement à quarante-huit ans de fascisme au Portugal, affirme-t-il. Ce qui est sûr, c’est que la plupart d’entre nous viennent d’un monde paysan où, souvent, il y a de l’analphabétisme, et où l’on ne parle pas. » Où l’on ne peut pas faire d’histoires, au risque de ne pas faire Histoire.

José Vieira fait donc le chemin inverse dans son livre. Au centre du premier texte, « Les années d’avril », il y a la figure de son père taiseux. « Un roi déchu » depuis son exil provisoire est devenu durable. Le « péché originel » de ce forgeron portugais, débarqué seul à la Gare d’Austerlitz avec l’adresse du bidonville de Massy en poche, est d’avoir fait venir femme et enfants. En France, ces derniers apprennent une autre culture, et contestent sa conception chrétienne du monde sur fond de révolution : Mai 68 en France, et celle des œillets au Portugal, qui a entrainé la chute du dictateur Salazar en avril 1974.

Perdre la langue

Dans « Nous sommes venus » José Vieira raconte comment il fait des films pour « rompre cette amnésie, peupler cette absence de récits, d’images, de bruits de l’histoire ». Lui-même n’a qu’un bref souvenir de son voyage vers la France. En 2018, il part à la frontière d’Hendaye et tombe sur des jeunes migrants subsahariens. Les clandestins portugais ont fait le « salto » pour « sauter les frontières » ; les migrants d’aujourd’hui font « Boza ». « Ils viennent, nous sommes venus. Nous sommes de la même histoire », écrit le cinéaste. Dans « Une saison dans la boue », il se revoit enfant au bidonville de Massy, à la fois honteux de vivre dans une cahute sans électricité et d’arriver crotté à l’école, et heureux de s’inventer une existence de cow-boy dans un univers de Far West. « Souvenirs d’un futur radieux » mêle une réflexion sur la vision optimiste de l’avenir dans les années 1960 et l’installation d’un camp de Roms à Massy aujourd’hui. « Ils sont les étrangers absolus nommés Roms. Nous étions des étrangers réduits à une force de travail et nommés Portugais, écrit Vieira. Enfin, « L’Île des absents » décrit l’impossible retour au pays de l’enfance.

« Je me suis demandé dernièrement à partir de quel moment j’ai commencé à rêver et à penser en français, lâche-t-il avant la fin de notre entretien. Bien sûr, je parle portugais, mais je ne sais exprimer tous les sentiments dans cette langue. » Ainsi du mot « ternura » qu’il a découvert en lisant Fernando Pessoa. Ça veut dire « tendresse ». À l’inverse, il y a des mots qu’il n’arrive pas à dire en français, comme « maman » ou « mère ». pour lui ce sera toujours « mãe ».

Gladys Marivat – Lire Magazine – Mars 2024

José Vieira au micro de Carina Branco sur RFI português –  le 20 mars 2024

Présentation du livre Souvenirs d’un futur radieux – Entretien en portugais

“José Vieira volta aos “bidonvilles” portugueses contra amnésia colectiva”

À écouter en cliquant ICI !

On connaissait José Vieira surtout comme cinéaste et réalisateur, auteur d’une trentaine de documentaires, dont nous pouvons citer notamment «Les émigrés», «Le drôle de mai – Chronique des années de boue», «La photo déchirée», «Le pays où l’on ne revient jamais», «Gens du salto», ou le film Souvenirs d’un futur radieux (2014), une histoire croisée de deux bidonvilles qui se sont construits à 40 ans d’intervalle, en marge de la commune de Massy, en banlieue parisienne : le «Bidonville des Portugais», où l’auteur est arrivé avec ses parents, en 1965, à l’âge de 7 ans, «par temps de croissance et d’avenir radieux», et le «Bidonville des Roms», formé au début des années 2000.

Portant le même titre que celui du film, «Souvenirs d’un futur radieux», écrit dans une langue sensible et poétique, bouleversante et précise à la fois, ce premier livre de José Vieira nous révèle incontestablement un écrivain de talent. Chacune de ses phrases, généralement courtes, est dense de souvenirs et de réflexions, et souvent de révolte.

Oscillant entre le passé et le présent, José Vieira fait défiler à travers son récit les souvenirs de son enfance, son histoire personnelle, ainsi que celle de sa famille. La transmission de la mémoire et la lutte contre l’oubli et l’exclusion guident constamment l’auteur-narrateur dans sa recherche irréductible non pas du temps perdu, «mais de ces jours où nous avons vécu dépouillés de notre histoire»

Cinquante ans après le salto – le saut des frontières – de 1965, et après avoir repris le Sud-Express en compagnie de sa fille, afin d’aller tenter d’arracher à sa mémoire des souvenirs de son exode, il lui raconte : «Il y a maintenant plus de cinquante ans que nous sommes venus. C’était un exode qui a emporté un million et demi de personnes. C’était le désaveu d’une dictature. Tu sais, il y a des fois où partir c’est résister, c’est refuser le désordre que l’oppression provoque dans nos vies. Des villages entiers pliaient bagage avant que la misère ne les étrangle. Des gens s’évadaient pour conjurer le destin où il se sentaient prisonniers, un pays où plus rien ne semblait possible. Des jeunes abandonnaient leur famille pour fuir les guerres coloniales. Ils ne cherchaient pas un endroit où gagner leur vie, ils fuyaient».

Dans Souvenirs d’un futur radieux l’auteur mêle son propre parcours, celui où les gens disaient qu’ils avaient fait le salto (sauté le frontières) à celui des migrants de nos jours, «avec qui nous avons une histoire commune», précise-t-il, et qui «forcent les frontières pour changer la vie», ceux qui viennent d’Afrique et qui disent qu’ils ont «brûlé les frontières».

Par son contenu, Souvenirs d’un futur radieux est non seulement un témoignage personnel, mais aussi un cri de révolte et d’indignation contre l’injustice, le racisme et la misère dans laquelle vivent encore aujourd’hui des milliers de familles immigrées. Et par sa forme, ce texte résonne comme un récit poétique à plusieurs voix, émouvant et lucide à la fois.

Dominique Stoenesco – Lusojournal – Mars 2024

Brûle-Frontières, la nouvelle collection de Chandeigne, maison de la lusophonie

Cette collection vise à ouvrir un espace aux voix longtemps confinées, inouïes ou ignorées dans la littérature, explorant la complexité de l’entre-deux linguistique, social et culturel. Elle entend mettre l’accent sur la richesse des identités multiples pour dépasser les clichés.

La mémoire contre l’exclusion

Le nom de la collection, Brûle-Frontières a été choisi pour sa beauté et sa force évocatrice, symbolisant un appel puissant à une nouvelle génération d’écrivains et de penseurs, qu’ils soient en France ou ailleurs dans le monde.

Le premier livre de la collection, Souvenirs d’un futur radieux de José Vieira, est une œuvre autobiographique. Ce dernier, né au Portugal et ayant immigré en France à l’âge de sept ans, y relate les souvenirs de son enfance dans les bidonvilles franciliens et l’expérience de l’exil.

Dans les années 1980, il a été un membre actif du groupe Convergence 84 pour l’Égalité. Au cours de sa carrière, il a réalisé une trentaine de documentaires, se concentrant sur l’immigration en France, en s’appuyant sur son expérience personnelle et les récits individuels rencontrés.

Dans son travail, il établit un lien entre le passé et le présent et soulève des questions sur la double culture, la mémoire et la lutte contre l’oubli et l’exclusion. Ce livre est une célébration du métissage des peuples et un appel à la tolérance, se distinguant par son langage poétique.

Depuis 2001, avec La photo déchirée, il a entamé un cycle de travaux sur l’immigration portugaise, en la mettant en perspective avec les flux migratoires récents de Roumanie, d’Afrique de l’Ouest et d’autres régions du monde.

style=”font-weight: 400;”>Hocine Bouhadjera – Actualitté – Janvier 2024

France-Portugal

Mylène Contival et Ana Maria Torres : la première est assistante éditoriale chez Chandeigne, la seconde est traductrice, autrice et libraire à Paris. Ensemble, elles dirigent la nouvelle collection « Brûle-Frontières » lancée le 17 mars dans le catalogue Chandeigne. Leur objectif : «Mettre en avant la lusophonie avec de textes de littératures française» afin de «donner à voir la culture hybride créée par un lien historique entre la France et le monde lusophone». Après Souvenirs d’un futur radieux de José Vieira, les deux directrices souhaitent publier un titre par an.

Cecilia Lacour – Livres Hebdo – Février 2024