Pour l’amour de la géographie

Pour qui partage l’idée pascalienne sur le malheur des hommes et la tranquillité d’une chambre, la vie d’Henri Coudreau que relate Oyapock, récit de Patrick Straumann, est à la fois un mystère et une révélation. Qu’est-ce qui pousse un natif du Poitou-Charentes à partir jusqu’en Guyane, à y souffrir mille maux ou morts, à courir tous les risques ? La réponse est toujours la même, depuis que des hommes partent explorer : le désir de reculer les limites du monde connu. Mais, en lisant ce foisonnant récit, on trouvera d’autres réponses.

Comme Pierre Loti, René Caillé, et avant eux Samuel de Champlain, Coudreau est né à Sonnac, non loin de Rochefort. Il rêvait d’Afrique, il est parti en Amérique. Pour ce faire, il a d’abord été professeur d’histoire et géographie et, comme les postes que le ministère lui proposait l’ennuyaient, il a choisi de partir cartographier les côtes de la Guyane. Oyapock est le nom d’un fleuve qui constitue une frontière (si ce concept a un sens dans de telles zones entre le Brésil et cette terre française). Notre héros est né en 1859 et mort en 1899. Ses séjours se déroulent en deux temps et coïncident avec les rêves et les ambitions de la Troisième République. Il a le soutien de Jules Ferry, et, même quand Coudreau excèdera les limites de sa mission, le ministre le soutiendra.

L’épigraphe de Conrad et l’époque évoquée font de Coudreau un personnage à la Deville. D’autant, bien sûr, qu’il prend le bateau à Saint-Nazaire. Il aurait pu faire une apparition dans Amazonia, en duo, par exemple, avec Jules Crevaux, autre explorateur, mort transpercé de flèches dans le Chaco bolivien alors qu’il s’apprêtait à établir une liaison entre le Río Paraguay et l’Amazone. Qui a vu The Lost City of Z, histoire de Fawcett, sait à quel point les peuples d’Amazonie peuvent protéger leur territoire. La mort de Coudreau sera moins brutale. C’est presque un apaisement, sur les eaux du lac Tapagem. C’est le temps où il rêvait de se retirer dans « quelque endroit solitaire ».

Créer une utopie dans la forêt ou protéger son territoire, des rêveurs européens ou les Indiens ne sont pas les seuls à le faire. Le récit de Straumann fourmille d’histoires diverses, de récits historiques liés à ces territoires d’une immense richesse, à tous égards. Ce fourmillement serait même l’une des limites du livre : malgré les courts chapitres avec titres, on se sent parfois égaré. Les noms de lieux, de personnages, les époques évoquées, sont si nombreux qu’on en est ébloui, et abasourdi, comme si on traversait la forêt profuse. Mais passons cela, laissons-nous prendre à ce récit de passionné.

Passionné parce que marchant sur les traces de Coudreau, Patrick Straumann raconte une terre, la Guyane, dont nous connaissons surtout le bagne de Cayenne, les histoires de chercheurs d’or et l’immense pauvreté. Comme il l’avait fait dans Lisbonne ville ouverte, l’auteur suit les traces laissées par les uns et les autres et montre ce qu’il en est aujourd’hui des lieux.

Coudreau et celui qui raconte son existence, en un récit tout à fait subjectif qui ne prétend pas être une biographie, ont voyagé dans un Brésil dont la dimension romanesque donne à rêver. On ne s’étonne pas que Jules Verne lui ait consacré Le superbe Orénoque, autour de la figure de Crevaux. Les écrivains, en général, ne peuvent rester indifférents à ce qui se passe dans cette partie du continent américain. Ainsi, au XXe siècle, l’exploitation des plus faibles et la misère qui contraste avec les fortunes soudaines suscitent les écrits d’Euclides da Cunha, un émule brésilien de Zola. Et devant le monstrueux projet de Transamazonienne, Carlos Drummond de Andrade tire en 1944 une conclusion en grande partie définitive : « Le Brésil est un pays de chemins fermés, un pays irrémédiable ». C’est plutôt la situation climatique que tous ceux qui détruisent la forêt, depuis quelques décennies et plus encore de nos jours, rendraient irrémédiable.

Parmi tous les récits qui foisonnent, l’histoire de l’hévéa et de son exploitation pour fabriquer le latex est en soi une épopée. Manaus, ville bâtie au milieu de la forêt, en est le vivant symbole, avec ses marbres, ses palais, son opéra, et, incroyable, le linge qu’on donne à laver à Lisbonne ! Mais qui connaît Fordlandia ? Dans les années trente du siècle dernier, l’entrepreneur états-unien installe en Amazonie une usine, pour fabriquer ses pneus à moindre coût. Tout est désormais en ruine ; le patron de l’automobile a compris que ce n’était pas rentable.

Si le servage a disparu dans le pays, on a pu, avant Ford, surnommer cette région le « Congo britannique ». Dans son équivalent africain, le roi Léopold de Belgique avait ses méthodes pour mater la piétaille. Mais aussi, qui a jamais entendu parler de ces soldats confédérés, vaincus par les Nordistes et partis cultiver la canne à sucre vers 1860, quand on pouvait encore exploiter les esclaves ? Bref, le récit de Straumann, regorge d’histoires presque incroyables et chaque page est un étonnement.

Oyapock contient également des portraits qui transforment des êtres en légendes. Coudreau est ami avec Élisée Reclus, anarchiste et géographe, graphomane qui rédige une véritable encyclopédie couvrant la terre entière. Coudreau est son aide en ces terres lointaines. Pas sûr qu’Octavie, l’épouse, soit convaincue par cet ex-communard sauvé de la prison par Darwin, Nadar et quelques savants de renommée mondiale, elle qui serait plutôt conservatrice et croyante quand Reclus a rompu avec son milieu calviniste d’origine. Son époux la convainc.

Coudreau, Reclus et quelques autres, dont Spruce, sont des héros épiques. Ce dernier savant, biologiste au destin effrayant, aurait pu croiser Coudreau à Oriximina. Il parvient à collectionner des milliers de pousses et de plantes. Il se rend jusque dans les Andes mais une paralysie progressive l’empêchera de s’asseoir à une table et d’utiliser un microscope. Le reste, on l’apprend dans le livre et on en reste ébahi.

Héroïque, Coudreau ? Oui, sans aucun doute, malgré les moments de lassitude. En 1889, il a à peine trente ans et se sent très vieux. Il pourrait tout arrêter, ou presque : « La question de la colonisation lui devient indifférente, même la géographie lui apparaît désormais comme une chimère ». Ce qui importe, c’est de mener une vie errante, ce qui compte, c’est d’observer ; raconter, à la rigueur. Cette existence est peut-être une illusion, faite de la ruine de toutes les autres, « mais ce dilettantisme paraît moins ennuyeux que celui des pessimistes, des nirvanistes ou même que celui des renaniens ». À voir, entendre ou lire nos pessimistes et Cassandre contemporains, on a envie de lui donner raison.

Norbert Czarny – En atteandant Nadeau – Octobre 2021

Oyapock. Ce nom ne vous dit rien ? C’est pourtant une des plus longues frontières françaises, au fil du fleuve éponyme, entre la Guyane et le Brésil. C’est aussi le titre du livre de Patrick Straumann, sorti en octobre. Le journaliste suisse y conte son voyage, à l’été 2019, sur les traces d’Henri et octavie Coudreau, couple d’aventuriers charentais qui a sillonné « des endroits où aucun européen n’était allé avant», décrit l’auteur.

En 1893, Henri et Octavie Coudreau embarquent vers la Guyane pour le compte du gouvernement français. Leur misssion : cartographier les tréfonds de l’Amazonie. La France veut fixer les limites de son territoire face à la jeune nation brésilienne. Henri est l’homme de la situation. Ce géographe de Sonnac, en Charente-Maritme, a dirigé des expéditions pendant douze ans dans la région. Cette fois, il emmène sa femme, originaire d’Anais, en Charente.
Aragouary, Jari, Camopi… Autant de terres explorées par le duo pendant six ans. « Au départ, ils sont habités par le rêve très troisième république de mission civilisatrice», précise Patriclk Straumann. Petit à petit, l’ivresse de l’Amazonie les gagne et le couple se forge son propre rêve : vivre dans la jungle. Les Coudreau passent alors sous pavillon brésilien, plus prompt à financer des missions.

Patrick Straumann guide le lecteur à travers les villages visités par le duo jusque dans l’État du Pará, où Henri meurt de maladie en 1899.

Octavie devient une des rares femmes à commander des expéditions. Elle reste au Brésil pendant sept ans et publie cinq ouvrages. À court de mécènes, l’exploratrice rentre en France en 1906. Pendant la Première Guerre mondiale, elle s’engage comme infirmière dans l’armée française. Elle se replie ensuite chez sa belle famille à Sonnac où elle décède en 1938.

Le couple repose aujourd’hui dans le cimetière de Bardines, à Angoulême. Et certaines de leurs cartes sont encore utilisées par les géographes du XXIe siècle

Fabien Nouvène – La Charente Libre – Décembre 2021 

Patrick Straumann reçu à la rédaction brésilienne de RFI Brasil . Entretien filmé en octobre 2021. En portugais.

Oyapock, sur les traces d’Henri Coudreau

Dans son dernier ouvrage, Patrick Straumann retrace les voyages d’un couple d’explorateurs français de la fin du XIXe siècle, Henri et Octavie Coudreau. Un passionnant récit qui débute en mars 1881, en Guyane.

Henri Coudreau naît à Sonnac, en Charente-Maritime, en 1859. Tout jeune, il rêve d’expédition au centre de l’Afrique mais c’est à Cayenne qu’il va s’établir.

“Coudreau arrive en Guyanne en mars 1881. Les vents alizés font bruisser les palmiers, le navire a jeté l’ancre dans la rade de Cayenne, aimantant des dizaines de canots à rames qui viennent débarquer les passagers. A la fin du XIXe siècle, la colonie est un mirage : le territoire se perd dans l’infini des forêts, la ville reste figée dans la vase du littoral et le bagne pèse sur le pays comme un nuage de fer.”

Dès son installation, il parcourt les forêts de la côte, explore les savanes, les lagons, s’immerge dans la culture locale. Il étudie les langues, les traditions, les croyances des indiens, et note tout. Au fil du temps, il finit par “connaître leur vie et à l’aimer” et, en 1893, lorsque “ses convictions et ses objectifs vacillent et (qu’)il devine qu’il doit se trouver de nouveaux horizons” il rencontre et épouse une jeune charentaise de 26 ans, Octavie. Ils ne se quitteront plus jusqu’au 10 novembre 1899, jour où, en pleine expédition, il perdra la vie sur le fleuve Trombetas au Brésil.

C’est avec une écriture riche et poétique que l’auteur, Patrick Straumann, nous entraîne sur les pas de Henri et Octavie Coudreau. Il nous fait vivre la vie trépidante du grand explorateur français et de son épouse en nous faisant pénétrer dans leur univers d’émotions, de couleurs, de liberté et aussi de dangers. Mais l’auteur ne s’arrête pas là. Il en profite pour nous enseigner, à travers de multiples petits récits, l’histoire sociale et humaine des peuplades rencontrées, la géographie et la beauté des régions traversées.

Une très belle lecture.

Marie Torres – Micmag.net – Novembre 2021

Patrick Straumann reçu au micro du journaliste Artur Silva dans son émission “Passage à niveau” en octobre 2021.

 

 

Ce bel ouvrage à la riche iconographie (cartes, photos, plans et croquis) revient sur les traces de Henri Coudreau (1859-1899). Géographe et explorateur français né en Charente, Guyanais d’adoption, celui-ci figure au rang des pionniers de l’exploration de ce territoire limitrophe du Brésil. L’auteur, journaliste suisse, fin connaisseur du monde lusophone, retrace ici le parcours de celui qui a cartographié l’intérieur de la Guyane, ses savanes et la zone frontalière entre la France et le Brésil, plus longue frontière terrestre, trop souvent méconnue. Il en sort un essai kaléidoscope qui répertorie fidèlement les aventures d’Henri Coudreau et de son épouse Octavie qui, tels des missionnaires, ont entrepris de cartographier un territoire aussi grandiose qu’inhospitalier, mais aussi la collecte d’essences amazoniennes.

En 1883, Henri Coudreau entreprend une importante mission en Guyane commandée par Paris soucieuse de mettre un terme au litige frontalier avec le Brésil. Au cours de ce voyage, il observe les élans indépendantistes des populations indigènes avec curiosité le long du fleuve Oyapock. Mais l’explorateur prend ses distances avec son administration de tutelle et offre ses services au gouvernement brésilien. Il meurt en 1899 en pleine expédition, son épouse continuera seule sa mission, puis rapatriera ses restes et ses travaux en France. Édité par les éditions Chandeigne, cet ouvrage rend compte de l’univers fascinant des explorateurs et des aventuriers du XIXe siècle, assoiffés d’or ou d’utopies, dans un contexte où le boom du caoutchouc suscitait toutes les convoitises.

Revue Conflits – Livres de la semaine – Mai 2022