Parce que le peuple se bat

Miracle au Brésil d’Augusto Boal, publié une première fois en 1979 au Brésil, paraît en français cette année aux éditions Chandeigne. Son auteur est le créateur du « Théâtre de l’opprimé », cet ensemble de formes et de méthodes au service de l’émancipation. On connaît, d’ailleurs, les mésaventures de ce théâtre. Il a désormais, bien souvent, la saveur de l’accommodement : pansements citoyens, école normative du vivre-ensemble. Il n’était pourtant pas conçu pour devenir un théâtre de l’oppression au sens où il permettrait à celle-ci de perdurer un chouïa humanisée… C’est un théâtre qui souhaite bouleverser le rapport « spectateur/acteur », une « répétition de la révolution» ; qui aiguise, donc, la conflictualité, combative.

Le livre qui vient de paraître est le récit de l’arrestation de Boal par le pouvoir fasciste brésilien en 1971, de la torture et de son emprisonnement à la prison de Tiradentes. Libéré à l’issue d’une campagne de solidarité internationale, il s’exile en Europe. Miracle au Brésil ne parle, à première vuen que peu de théâtre, à l’exception du conseil que lui donne, au centre de torture, une amie, la dramaturge Heleny Guariba : « Ici, il faut être plus brechtien que stanislavskien… Ici, on ne peut pas simplement sentir, il faut aussi essayer de comprendre… Il faut savoir garder la distance… Bannir les émotions. » Il y aura, en outre, quelques conférences données à Tiradentes à ses camarades sur le « théâtre du journal », le « théâtre clandestin » et des débats entre prisonniers politiques autour de l’art engagé. C’est à peu près tout.

Et pourtant ce récit, si émouvant, si drôle (oui !), humble et réjouissant, par-delà quelques remarques datées, pourrait, à sa façon, éclairer l’histoire d’un pan du théâtre politique. Une certitude s’annonce : « Voilà pourquoi la répression existe : parce que le peuple se bat. » Dans sa simplicité, cette affirmation du prisonnier Boal est décisive. Car postuler la primauté voir l’antériorité de la lutte dessine la consistance politique du monde auquel il veut prendre part. Elle révèle de quelle conception de l’action la politique de théâtre est la conséquence. Elle est, ici, corrélée aux luttes, à leur puissance, à leurs capacités d’élaboration ?

Faire de la politique serait alors porter le regard sur les luttes, sur l’état des luttes, leur devenir latent ou évident ; qu’elles deviennent la mesure de k’aiguillon de l’intervention, ce serait préférer comme boussole l’appréhension, par en bas, des rapports de force et des conjonctures aux échauffements des réseaux, des campus aux plateaux. Cela suppose d’engagé son activité dans la durée – et dans des formes d’organisation. Ces temps long, par contraste, souligne la faiblesse d’une radicalité soumise à l’obsolescence programmée des indignations, indexée à l’excitation médiatique et au marché fluctuant des opinions progressistes.

Aujourd’hui, le Brésil est dirigé par Bolsonaro. On se souvient de la prophétie dy philosophe Walter Benjamin : « Si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront plus en sureté. » L’ennemi triomphe. Le présent souffre. Les morts aussi, ceux, entre autres, dont parle Boal avec tant de légitime affection – ce peuple qui a lutté. Mais si désespérées, vaincues, invisibles soient (provisoirement) les luttes, elles sont toujours les garantes d’une vitalité qui ne cède pas sous le poids des « Viva la muerte » fascistes et des vies rendues absentes à elles-mêmes, par le management et les gouvernances néolibérales.

Un ouvrage collectif, récemment paru aux éditions de l’Éclats, parle de ce présent désolant : La passion des possibles. Il est consacré à la chorégraphe Lia Rodrigues, au Centre d’Art et à son école de danse crées dans la favela la Maré, à Rio de Janeiro. Une danseuse, Amália Lima, explique : « Lia pose toujours la même question : « le monde est de pire en pire, des personnes meurent, alors à quoi sert la danse ? » Ce livre généreux, le souvenir des ses œuvres, leur vitalité, apportent quelques éléments de réponses et dressent ainsi un obstacle bienvenu à la complaisance mélancolique.

Olivier Neveu – Revue Théâtre(s) – Automne 2021

Des héros dans la dictature du Brésil – La torture vécue par Augusto Boal

En février 1971, au coeur des années de plomb au Brésil, Augusto Boal fut aux mains d’une administration policière et judiciaire qui tortura entre 1964 et 1985 des dizaines de milliers de prisonniers politiques en toute impunité. Arrêté à São Paulo en pleine rue, un soir, sur le chemin entre son théâtre et son domicile, le dramaturge (1931-2009) fut écroué sous un faux nom, personne ne savait où il avait disparu. Grâce à la complicité d’un soldat, admirateur de son art, des lettres parvinrent à l’étranger. Une grande campagne de soutien s’organisa dans plusieurs pays, dont la France, où il finira par s’exiler. Le Théâtre de Nancy, dirigé par Jack Lang, en était l’un des fers de lance. Après sa libération, Augusto Boal, fondateur de la méthode du Théâtre de l’opprimé, écrivit Miracle au Brésil, témoignage littéraire basé sur des notes prises en prison, maquillées en travail d’apprentissage de langues.

Antidote. Ce livre fut publié au Portugal, à la suite de la révolution des OEillets, puis au Brésil, après la fin de la dictature en 1985. Non réédité, épuisé, quasi introuvable sur le marché de l’occasion, il n’avait jamais été édité en France. Alors que dans le Brésil actuel, le président d’extrême droite, Jair Bolsonaro, défend la période de la dictature, présentée comme un «rempart» glorieux au communisme, lire ce livre est un antidote à l’amnésie. L’histoire de sa publication française par les éditions Chandeigne, spécialisées dans la littérature lusiphone, est peu ordinaire. «Elle est la preuve qu’un lecteur peut donner une chance à un livre», dit le poète et traducteur Max de Carvalho. Tout jeune homme, celui-ci l’avait lu, avait été fortement impressionné, puis l’avait remisé dans les souvenirs. Il y a un an, en en parlant avec Anne Lima, la directrice de Chandeigne, l’idée de le publier a surgi. Mais impossible de mettre la main sur un exemplaire en portugais, jusqu’à un coup de chance qui a permis de lancer la traduction puis la publication.

Miracle au Brésil (Milagre no Brasil) tire son nom de la prétendue réussite économique de la dictature militaire. Pour Boal, le «miracle» est celui de la résistance du peuple. Il y a dans ce livre un humour «très carioca», dit Max de Carvalho à Libération, fait «d’autodérision, de distanciation, avec un regard sur soi sans grande illusion». Et cet aspect renforce le vertige d’une réalité d’horreur. Augusto Boal raconte de façon très clinique les séances de torture qu’il a subies. Le supplice le plus pratiqué était hérité de la période de l’esclavage, le pau de arara, où la victime était suspendue et ligotée par les genoux et les poignets à un bâton, la tête en bas. Les policiers brésiliens y ajoutaient d’autres innovations sadiques. Pour Boal, que sa célébrité protégeait peut-être, ils s’en tinrent aux décharges électriques.

Entre deux pertes de conscience, l’auteur réussit à rester critique face à la bêtise de ses tortionnaires, à un moment il rit même devant l’absurdité d’un dialogue, ce qui déclenche une nouvelle vague de sévices. L’un des policiers accuse Boal d’avoir diffamé le Brésil. En quoi? «Et sa réponse, surprenante : – “Tu diffames parce que, lorsque tu vas à l’étranger, tu dis qu’ici, au Brésil, on pratique la torture !” La bestialité de ces gens était incroyable. Ils étaient incapables de comprendre la monstruosité de leurs actes. J’étais là, nu, accroché par les genoux, terrassé par de violents chocs électriques. Pourtant, je n’étais qu’un suspect, on n’avait encore rien prouvé contre moi. Or pour eux la violence commise à l’encontre d’un suspect n’était pas de la torture, c’était un “interrogatoire”. Même s’ils ne savaient pas au juste de quoi on m’accusait, j’étais soupçonné d’être un “subversif ” – et ce seulement parce que deux personnes, sous la torture, avaient porté quelque accusation contre moi.»

Brecht. Miracle au Brésil est aussi un mausolée. La dictature fit moins de morts et de disparus du fait de leurs actes dans la guérilla ou de leurs opinions qu’au Chili ou en Argentine. Officiellement (mais il faut aussi ajouter plus de 8 000 Indiens tués du fait des politiques des gouvernements militaires successifs) elle en fit 434, et parmi celles-ci Heleny Guariba, femme de théâtre, qui apparaît dans le roman sous le nom de Maria Helena. Dans le centre clandestin où atterrit Boal, elle le croise. Et cette détenue qui a déjà subi la torture pendant des mois et qui sera assassinée sans qu’on ne retrouve jamais son corps a cette étrange recommandation, qui montre son héroïsme: «-Ici il faut être plus brechtien que stanilavskien . Ici, on ne peut pas simplement sentir, il faut essayer de comprendre Il faut savoir garder la distance Bannir les émotions.» Boal écrit: «Je lui ai répondu que oui, que j’allais essayer.» Plus tard, quand l’auteur quitte son premier centre de détention et se retrouve enfin sous son vrai nom à la prison de Tiradentes, dans une cellule collective avec d’autres détenus politiques, il reverra une dernière fois Maria Helena, c’est son anniversaire. Une autre victime célèbre de la dictature, mais qui survécut, est un frère dominicain, «théologien de la libération», frei Betto.

Il apparaît ici sous les traits de frère João. Pour tuer le temps, les camarades sont très disciplinés, il y a des heures pour l’étude, pour le silence. Miracle au Brésil voit deux rhétoriques s’affronter. D’abord celle souvent absurde et bizarrement métaphorique du pouvoir, comme l’histoire du «mur de briques» que le tortionnaire en chef (derrière lequel se profile Sérgio Fleury, du Dops, le Département brésilien de l’ordre politique et social) veut abattre, chaque brique étant selon lui un aveu menant à un autre aveu, même si obtenu par la souffrance il ne vaut rien. Et celle des prisonniers, nourrie de lectures d’auteurs marxistes, et pas seulement. Frei Betto, dans un chapitre qui rappelle comment une frange de l’Eglise se plaça au côté de la lutte contre la dictature en Amérique latine, explique que Jésus est un révolutionnaire. Une exégèse parfois tirée par les cheveux mais qui, jointe à l’humour des protagonistes, illumine ces pages.

FRÉDÉRIQUE FANCHETTE – Libération – Juin 2021

Augusto Boal: souvenirs de prison sous la dictature brésilienne

En février 1971, le régime brésilien arrêtait le metteur en scène Augusto Boal. Ses spectacles comme sa sympathie pour l’Action de libération nationale l’avaient rendu insupportable aux yeux des militaires. Le créateur, mort en 2009, raconte son incarcération dans Miracle au Brésil, un émouvant témoignage paru dès 1974 et enfin traduit en français.

Augusto Boal, né en 1931, fut un dramaturge brésilien mondialement connu, fondateur en 1985 du théâtre de l’opprimé, une expérience théâtrale unique et conçue comme un outil d’émancipation radicale. Dès le début de la dictature militaire au Brésil, en 1964, il se situe résolument à l’avant-garde politique et artistique de la résistance au régime. Ses spectacles, Opinião (1964), Arena conta Zumbi (1965), Arena conta Tiradentes (1967), sont des appels à la révolte, inspirés de l’histoire du Brésil : Zumbi fut le chef d’une révolte d’esclaves et Tiradentes le martyr de l’indépendance du pays.

Son récit, qui n’abandonne jamais l’humour, même dans les moments les plus tragiques, est plus que jamais actuel au Brésil, présidé par Jair Bolsonaro, admirateur frénétique de la dictature militaire et en particulier de ses pires tortionnaires. C’est un livre qui parle de l’angoisse, de la peur et de la souffrance, mais aussi du courage et de l’amitié.
Arrêté par la police, soi-disant pour un « contrôle de routine », Boal est amené aux locaux du tristement célèbre Département de l’ordre politique et social (DOPS). Une perquisition chez lui permettra une riche récolte de livres subversifs, dont Le Rouge et le Noir – couleurs fortement suspectes…

Dans un couloir de la prison, il va rencontrer une ancienne assistante théâtrale, María Helena, accusée d’activités révolutionnaires, qui lui donnera une petite leçon de dramaturgie politique : « Ici, il faut être plus brechtien que stanislovskien… Il faut essayer de comprendre… Il faut savoir garder la distance… Si tu ne dis rien, ils pensent que tu n’as rien à dire et ils finissent par arrêter la torture. » On n’a pas réussi à arracher la moindre information à María Helena, qui sera, quelques mois plus tard, assassinée par le régime.

Après avoir tenté, en vain, de l’intimider – « Ici, tout le monde parle. Mieux vaut parler tout de suite » – les policiers déshabillent Boal et l’attachent au pau de arara (perche à perroquet), une méthode de torture déjà utilisée du temps de l’esclavage. La victime est pendue à une perche qui passe sous ses genoux pliés et les mains attachées. Comme on n’arrête pas le progrès, la version moderne du pau de arara se distingue par l’usage intensif de l’électricité. « Chaque nouveau choc faisait plus mal que le précédent, et chaque cri était plus rauque. »

Malgré de longues séances de torture, la victime persistait à répondre : « Je ne sais pas. » La principale accusation que ses bourreaux lui jetaient à la figure était d’avoir transmis à l’étranger des documents qui « diffamaient le Brésil, en prétendant qu’ici on pratique la torture » ! La situation était si ridicule et l’argument des policiers si stupide que Boal n’a pu réprimer un sourire. Réponse des sbires : « Tu as ri ? Maintenant tu vas pleurer ! » Les chocs ont été intensifiés et la victime a fini par s’évanouir. Les tortionnaires sont revenus à la charge après quelques minutes : « Ici, tout le monde parle. Nous sommes des spécialistes. » Après avoir perdu connaissance deux ou trois fois, le dramaturge a été détaché et renvoyé à sa cellule.

Très rapidement, une campagne internationale s’est développée, exigeant la libération d’Augusto Boal : Arthur Miller, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Ariane Mnouchkine, Peter Brook et plusieurs autres ont protesté, des manifestations ont eu lieu devant les ambassades du Brésil dans beaucoup de pays. Cette mobilisation mondiale l’a sans doute sauvé d’un calvaire sans fin qui aurait pu conduire à sa mort.

Dans un premier moment, Boal n’a pas été libéré, mais transféré du sinistre DOPS à la prison Tiradentes, où il partagea sa cellule avec quelques autres prisonniers politiques. Il prenait tous les jours des notes sur la vie des prisonniers, en français, pour tromper la censure policière.

Dans la cellule, des cours d’histoire, de théâtre, de français, d’anglais étaient partagés, et on lisait les livres d’une petite bibliothèque qui contenait Simone de Beauvoir, Sartre, Brecht, Proust, Machado de Assis et Graciliano Ramos. Des discussions politiques ont eu lieu, bien entendu, que Boal raconte avec une pointe d’humour ironique, et qui témoignent de la terrible dispersion des forces de la résistance. Il cite, par exemple, cette déclaration d’un des prisonniers, par ailleurs fort sympathique : « J’étais militant du RTP, qui est la dissidence de la dissidence de l’ultragauche de la troisième ligne de la micro-fraction du vieux Parti communiste. » Ou alors, quand il observe que tous les prisonniers étaient d’accord sur la nécessité que la lutte contre la dictature soit dirigée par un seul parti, le vrai parti prolétarien. Le seul problème était que chacun croyait que son organisation était cet unique parti d’avant-garde.

Boal raconte aussi la visite de deux personnages religieux, situés aux antipodes l’un de l’autre. Un certain Luis, un homme de l’Opus Dei, leur a expliqué : « Je condamne la torture, mais convenons-en : au moins, ici, l’ordre règne. Il faut le reconnaître, ici, l’ordre existe. » L’autre, frère Joao (probablement une référence à Frei Betto), était aussi un prisonnier, accusé d’avoir aidé les révolutionnaires, qui leur proposait une lecture « subversive » de l’Évangile.

En avril 1971, Boal est libéré. Au moment de partir, il écoute un nouveau prisonnier, qui le remplace dans cette cellule, raconter les derniers épisodes de lutte et de résistance ouvrière, paysanne ou populaire, contre la dictature. « Le peuple se bat. C’est cela le miracle au Brésil » – en réponse au discours du régime sur le prétendu « miracle économique brésilien ».

Le récit se termine ici, mais, dans sa préface, l’historienne Anaïs Fléchet raconte que Boal ne fut libéré que de manière conditionnelle, pour pouvoir participer au Festival de théâtre de Nancy. Il va se rendre ensuite à New York, où il monte Torquemada, une pièce inspirée de son expérience carcérale. Ce sera le début d’une longue période d’exil. Il ne reviendra au Brésil qu’après la fin de la dictature militaire, en 1986.

MICHAEL LÖWY – En attendant Nadeau – Juin 2021

Augusto Boal: souvenirs de prison sous la dictature brésilienne

En février 1971, le régime brésilien arrêtait le metteur en scène Augusto Boal. Ses spectacles comme sa sympathie pour l’Action de libération nationale l’avaient rendu insupportable aux yeux des militaires. Le créateur, mort en 2009, raconte son incarcération dans Miracle au Brésil, un émouvant témoignage paru dès 1974 et enfin traduit en français.

Augusto Boal, né en 1931, fut un dramaturge brésilien mondialement connu, fondateur en 1985 du théâtre de l’opprimé, une expérience théâtrale unique et conçue comme un outil d’émancipation radicale. Dès le début de la dictature militaire au Brésil, en 1964, il se situe résolument à l’avant-garde politique et artistique de la résistance au régime. Ses spectacles, Opinião (1964), Arena conta Zumbi (1965), Arena conta Tiradentes (1967), sont des appels à la révolte, inspirés de l’histoire du Brésil : Zumbi fut le chef d’une révolte d’esclaves et Tiradentes le martyr de l’indépendance du pays.

Son récit, qui n’abandonne jamais l’humour, même dans les moments les plus tragiques, est plus que jamais actuel au Brésil, présidé par Jair Bolsonaro, admirateur frénétique de la dictature militaire et en particulier de ses pires tortionnaires. C’est un livre qui parle de l’angoisse, de la peur et de la souffrance, mais aussi du courage et de l’amitié.
Arrêté par la police, soi-disant pour un « contrôle de routine », Boal est amené aux locaux du tristement célèbre Département de l’ordre politique et social (DOPS). Une perquisition chez lui permettra une riche récolte de livres subversifs, dont Le Rouge et le Noir – couleurs fortement suspectes…

Dans un couloir de la prison, il va rencontrer une ancienne assistante théâtrale, María Helena, accusée d’activités révolutionnaires, qui lui donnera une petite leçon de dramaturgie politique : « Ici, il faut être plus brechtien que stanislovskien… Il faut essayer de comprendre… Il faut savoir garder la distance… Si tu ne dis rien, ils pensent que tu n’as rien à dire et ils finissent par arrêter la torture. » On n’a pas réussi à arracher la moindre information à María Helena, qui sera, quelques mois plus tard, assassinée par le régime.

Après avoir tenté, en vain, de l’intimider – « Ici, tout le monde parle. Mieux vaut parler tout de suite » – les policiers déshabillent Boal et l’attachent au pau de arara (perche à perroquet), une méthode de torture déjà utilisée du temps de l’esclavage. La victime est pendue à une perche qui passe sous ses genoux pliés et les mains attachées. Comme on n’arrête pas le progrès, la version moderne du pau de arara se distingue par l’usage intensif de l’électricité. « Chaque nouveau choc faisait plus mal que le précédent, et chaque cri était plus rauque. »

Malgré de longues séances de torture, la victime persistait à répondre : « Je ne sais pas. » La principale accusation que ses bourreaux lui jetaient à la figure était d’avoir transmis à l’étranger des documents qui « diffamaient le Brésil, en prétendant qu’ici on pratique la torture » ! La situation était si ridicule et l’argument des policiers si stupide que Boal n’a pu réprimer un sourire. Réponse des sbires : « Tu as ri ? Maintenant tu vas pleurer ! » Les chocs ont été intensifiés et la victime a fini par s’évanouir. Les tortionnaires sont revenus à la charge après quelques minutes : « Ici, tout le monde parle. Nous sommes des spécialistes. » Après avoir perdu connaissance deux ou trois fois, le dramaturge a été détaché et renvoyé à sa cellule.

Très rapidement, une campagne internationale s’est développée, exigeant la libération d’Augusto Boal : Arthur Miller, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Ariane Mnouchkine, Peter Brook et plusieurs autres ont protesté, des manifestations ont eu lieu devant les ambassades du Brésil dans beaucoup de pays. Cette mobilisation mondiale l’a sans doute sauvé d’un calvaire sans fin qui aurait pu conduire à sa mort.

Dans un premier moment, Boal n’a pas été libéré, mais transféré du sinistre DOPS à la prison Tiradentes, où il partagea sa cellule avec quelques autres prisonniers politiques. Il prenait tous les jours des notes sur la vie des prisonniers, en français, pour tromper la censure policière.

Dans la cellule, des cours d’histoire, de théâtre, de français, d’anglais étaient partagés, et on lisait les livres d’une petite bibliothèque qui contenait Simone de Beauvoir, Sartre, Brecht, Proust, Machado de Assis et Graciliano Ramos. Des discussions politiques ont eu lieu, bien entendu, que Boal raconte avec une pointe d’humour ironique, et qui témoignent de la terrible dispersion des forces de la résistance. Il cite, par exemple, cette déclaration d’un des prisonniers, par ailleurs fort sympathique : « J’étais militant du RTP, qui est la dissidence de la dissidence de l’ultragauche de la troisième ligne de la micro-fraction du vieux Parti communiste. » Ou alors, quand il observe que tous les prisonniers étaient d’accord sur la nécessité que la lutte contre la dictature soit dirigée par un seul parti, le vrai parti prolétarien. Le seul problème était que chacun croyait que son organisation était cet unique parti d’avant-garde.

Boal raconte aussi la visite de deux personnages religieux, situés aux antipodes l’un de l’autre. Un certain Luis, un homme de l’Opus Dei, leur a expliqué : « Je condamne la torture, mais convenons-en : au moins, ici, l’ordre règne. Il faut le reconnaître, ici, l’ordre existe. » L’autre, frère Joao (probablement une référence à Frei Betto), était aussi un prisonnier, accusé d’avoir aidé les révolutionnaires, qui leur proposait une lecture « subversive » de l’Évangile.

En avril 1971, Boal est libéré. Au moment de partir, il écoute un nouveau prisonnier, qui le remplace dans cette cellule, raconter les derniers épisodes de lutte et de résistance ouvrière, paysanne ou populaire, contre la dictature. « Le peuple se bat. C’est cela le miracle au Brésil » – en réponse au discours du régime sur le prétendu « miracle économique brésilien ».

Le récit se termine ici, mais, dans sa préface, l’historienne Anaïs Fléchet raconte que Boal ne fut libéré que de manière conditionnelle, pour pouvoir participer au Festival de théâtre de Nancy. Il va se rendre ensuite à New York, où il monte Torquemada, une pièce inspirée de son expérience carcérale. Ce sera le début d’une longue période d’exil. Il ne reviendra au Brésil qu’après la fin de la dictature militaire, en 1986.

MICHAEL LÖWY – Mediapart – Mai 2021

Manque de Boal

Il sort d’une répétition. Sa femme lui a téléphoné pour lui dire qu’elle lui a préparé, pour le dîner, des escalopes milanaises. Va-t-il prendre un sandwich dans le bar d’en face, en attendant d’aller voir le spectacle du soir, ou faire un saut chez lui, tout à côté ? Il opte pour les escalopes milanaises. Est intercepté par un petit bonhomme lui demandant par trois fois s’il est bien Augusto Boal, et lui répétant que “tout va bien, tout va bien …”. Ensemble on va juste faire un saut au commissariat, pour une formalité, quelque chose à vérifier, rien de grave, à la fin de la soirée vous serez chez vous.

L’attente au commissariat, les flics qui ne font guère attention à lui, une ambiance d’indifférence, d’ennui, une brève confrontation avec Mario, qu’il se souvient avoir rencontré à Paris, à qui il avait parlé d’articles à faire publiés au  Brésil. Des articles contre le gouvernement, dit le commissaire. Pas du tout : sur le théâtre.Ah Mario a menti, alors ? Mario est blême, Mario a lâché cette histoire pour avoir la paix. Mais, comme l’expliquera la dramaturge Heleny Guariba, qu’Augusto Boal va croiser le lendemain en cellule : “Il y en a qui parle un tout petit peu, en se disant que comme ça ils vont arrêter de le torturer, mais ils tombent dans un engrenage terrible. Parce que c’est là qu’ils vont vraiment le torturer, quand ils se rendent compte que les coups font parler. Mais si tu ne dis rien, ils pensent que tu n’as rien à dire, et ils finissent par arrêter de te torturer.” Elle-même sera libérée trois mois plus tard, en avril, , et disparaîtra en juillet – son corps n’a jamais été retrouvé.

Cela se passe au Brésil voilà cinquante ans, en l’an 1971. Sept an auparavant, les militaires ont par un coup d’État installé leur dictature, dont l’actuel président Bolsonaro se dit nostalgique. Le metteur en scène Augusto Boal sera torturé et maintenu au secret un mois, puis transféré dans une prison où il restera deux mois. Une campagne de mobilisation, menée par Arthur Miller à New York et Jack Lang, en France, a payé. Ce livre, où il raconte la prison, la torture, la dictature, il l’a publié à Lisbonne en 1976. C’est la première fois qu’il paraît en français. On croit lire un simple témoignage : on se retrouve happé par ce récit formidablement vivant, qui nous rafraîchit la mémoire et tombe au bon moment.

Oui, c’est comme ça que ça se passe, quand des généraux d’extrême droite prennent le pouvoir. On arrête sur un simple soupçon. On torture. On gouverne par la peur et la menace. On tue, on exécute, on fait disparaître. N’importe qui peut, du jour au lendemain, être désigné comme ennemi intérieur. Augusto Boal (1931-2009) est connu pour être l’inventeur du “théâtre de l’Opprimé” : un ensemble de technique destinées à faire du théâtre un outil de transformation personnelle et sociale. Pour lui, le “spectacteur” devait pouvoir s’approprier le langage théâtral. Le théâtre devait être fait par le peuple et pour le peuple. Daté, tout cela ? À le lire, on a l’impression que c’est nous qui avons oublié quelque chose en chemin.

Jean-Luc Porquet – Le canard enchaîné – Mai 2021

En 1971, le Brésil traverse une période sombre, que l’on nommera plus tard les « années de plomb ». La dictature, qui sévit depuis quatre ans, a pris depuis peu une tournure plus répressive : les emprisonnements se multiplient, la censure frappe tous les médias (presse, cinéma, télévision, chanson…), tout le monde est surveillé (universitaires, artistes, intellectuels, mais également les leaders syndicaux dans les usines et à la campagne, qu’on soupçonne d’être des communistes). Lorsqu’il rentre chez lui, à São Paulo, après une journée de répétition, songeant aux escalopes milanaises que sa femme vient de lui préparer, le metteur en scène Augusto Boal (fondateur, quelques années plus tard, du Théâtre de l’Opprimé) est arrêté par trois policiers en civil. Menotté, il est aussitôt emmené dans un commissariat de police, où on lui signale qu’il ne s’agit que d’un « contrôle de routine », qu’il pourra bientôt rentrer chez lui. Sans savoir de quoi on l’accuse précisément, Augusto Boal sera emprisonné puis longuement interrogé. On le soupçonne, comme il l’apprendra peu à peu, d’être un agent de liaison au service des « subversifs » (c’est ainsi qu’on nomme, au Brésil, les opposants au régime). Sauvagement torturé, il ne devra son salut qu’à la mobilisation, notamment en Europe, de ses amis et de nombreux intellectuels et artistes.

Cette expérience, qui le marquera profondément, Augusto Boal (1931-2009) la raconte dans un livre, Miracle au Brésil (écrit en exil en 1974 et paru d’abord au Portugal) que j’ai eu le bonheur de traduire pour les éditions Chandeigne. Il y a dans ces pages sombres, une parole nécessaire, un témoignage d’une époque, d’une expérience personnelle, une dénonciation des crimes commis par le régime dictatorial (car la torture y est alors pratiquée de manière systématique). S’il parle de lui, Boal ne cesse d’évoquer ses camarades de prison, nombreux, dont beaucoup auront un destin tragique. L’auteur ne s’apitoie jamais sur son sort ; on sent chez lui, à chaque ligne, une volonté farouche de dénoncer ce régime oppresseur, qui détruit aveuglément des vies, qui pratique une politique de l’exclusion en favorisant les riches et en asservissant les pauvres (une vieille tradition au Brésil, qui ne date pas de la dictature, même si elle n’a rien arrangé…). C’est, surtout, le soi-disant « miracle brésilien » qui est ici mis en cause (l’expression est employée pour caractériser cette période de la dictature qui a vu la moyenne du PIB annuel côtoyer les 10% entre 1969 et 1973): de quel miracle parle-t-on, si tous les jours des hommes et des femmes sont torturés, et si les familles les plus modestes ne bénéficient nullement de cette « croissance économique exceptionnelle » ? Si, au contraire, les inégalités n’ont cessé de croître ?

Mais comment raconter, comment dire la violence extrême, que l’on peine à imaginer ? Augusto Boal choisit l’humour. Ce livre, dont certaines scènes pourraient être jouées au théâtre (tout le livre se déroule dans seulement deux prisons différentes), m’a souvent fait rire. Certes, il ne s’agit pas d’un sourire joyeux, enfantin, mais d’un rire grinçant, terrible, un rire qui, face à l’absurdité du monde, semble la seule échappatoire. Ainsi, cette scène, peut-être la plus marquante de ce récit, où Boal, attaché nu, tête en bas sur un bâton, la « perche-d’ara », les mains nouées derrière ses genoux, subissant diverses décharges électriques dans tout son corps, entend ses tortionnaires déclarer : « Tu diffames le Brésil ! ». « Pourquoi ? Comment je diffame ?! », demande Boal, la voix étranglée. « Tu diffames parce que tu mens en affirmant qu’on pratique la torture au Brésil ! », s’entend-il répondre, ce qui provoque chez lui une crise malheureuse de fou rire.

Ce livre, écrit il y a près de cinquante ans, résonne aujourd’hui d’une manière toute particulière. Certes, que je sache, on ne pratique plus la torture au Brésil (je le dis car cela ne serait pas juste, vis-à-vis de la génération d’Augusto Boal, de comparer ce que l’on vit aujourd’hui avec les instants terribles qu’ils ont vécus). Mais comment ne pas penser au gouvernement actuel de Bolsonaro, un président qui revendique être un nostalgique de la dictature militaire qui a sévi pendant vingt ans au Brésil ? Il n’est pas rare d’entendre encore aujourd’hui, des Brésiliens dire que la dictature était un « âge d’or », qu’on y était en sécurité, que le pays était de plus en plus riche… et qu’on n’y pratiquait pas la torture (quand ils ne la justifient pas, tout simplement …). Ainsi, Miracle au Brésil, qui paraît en français aujourd’hui, me semble un livre nécessaire. Je le rapproche d’un autre livre, qui se déroule dans un tout autre univers, de l’autre côté du globe : les Récits de la Kolyma, de Varlam Chalamov. Ce sont tous deux des livres qu’on lit avec passion, pris par le récit haletant, et qui, malgré la noirceur du propos, nous font croire en l’être humain. Car le livre d’Augusto Boal, malgré son côté sombre, est plein d’espoir envers l’humanité.

J’ai connu l’auteur dans les années 2000. Je me souviens en particulier d’un dîner dans un restaurant chinois de Belleville. C’était un homme charmant, plein d’humour, d’une grande gentillesse. Je connaissais son histoire, mais en traduisant ce livre, je l’ai en quelque sorte côtoyé pendant plusieurs mois. Ce fut, à ce titre, une expérience étrange, éprouvante par certains aspects (car je l’imaginais emprisonné, interrogé, torturé…), et passionnante par d’autres (car c’est un livre captivant). Je souhaite que le lecteur français, qu’il connaisse ou non le fondateur du Théâtre de l’Opprimé, puisse découvrir un livre fort sur le Brésil d’avant et d’aujourd’hui, mais qui, par son propos, parce qu’il raconte l’expérience terrible qu’est l’emprisonnement et la torture, a sans doute une portée universelle.

Mathieu Dosse – Le Matricule des Anges – Mai 2021

Le témoignage de l’opprimé

À l’origine de la parution de Miracle au Brésil, il y a le souvenir vif d’un texte devenu quasiment introuvable. Le récit que le dramaturge brésilien Augusto Boal (1931-2009) a écrit peu après avoir été arrêté, torturé et emprisonné à São Paulo en 1971, sous la dictature militaire (1964-1985). L’éditrice Anne Lima, chez Chandeigne, raconte une conversation de décembre 2019 : “Max de Carvalho, un poète et traducteur avec qui nous avons publié l’anthologie de poésie brésilienne (2012), me dit qu’il se souvient d’avoir fait une lecture hallucinée de ce livre dans les années 1980.” Dès lors, elle rêve de le lire, mais peine à mettre la main dessus.

L’ouvrage, paru en 1974 à Lisbonne, puis en 1979 au Brésil, dans une période d’ouverture, n’a jamais été traduite en France. Il est épuisé. L’éditrice de littérature lusophone finit, grâce à Internet, par en dénicher un exemplaire chez un bouquiniste de São Paulo. Il ne vend pas ses livres à l’étranger. Un ami l’achète à sa place et le lui fait parvenir. Anne Lima le lit d’une traite, bouleversée. D’Augusto Boal, elle connaissait le théâtre et les écrits théoriques. Là, elle est “sidérée” par l’humour dont témoigne ce livre où le fondateur mondialement connu du mouvement du “théâtre de l’opprimé” – un théâtre “fait par et pour le peuple” – décrit la torture subie et la “bêtise humaine” de ses geôliers. Surtout, elle saisit l’importance de publier ce livre aujourd’hui, alors que le président Jair Bolsonaro a entrepris “une forme de réécriture de l’histoire, qui est une forme de négationnisme”, selon l’historienne Anaïs Fléchet, dans la préface de l’ouvrage. Le régime mis en place après le coup d’État du maréchal Castelo Branco a causé des centaines de morts, des dizaines de milliers de prisonniers, en grande partie torturés, et autant d’exilés. Il nous apparait, grâce au témoignage d’Augusto Boal, dans toute sa violence, aveuglément dirigée contre les “subversifs”.

“Ce livre sur les gens qu’il a rencontrés en prison et l’espoir de voir son pays changer, il l’a écrit à Buenos Aires lors de notre première étape en exil”, se souvient Cecília Boal, contactée par téléphone. Le soir du 10 février 1971, l’épouse du dramaturge attend son mari pour le dîner. Il ne rentre pas. Elle pense immédiatement que Boal, figure du théâtre expérimental et résistant communiste à la dictature militaire a été arrêté. Il est accusé d’avoir fait passer des messages en provenance de Cuba. Depuis la censure préalable instaurée en 1968, les artistes sont la cible des militaires. Mais la police nie, pendant deux long mois. La nouvelle de son arrestation déclenche une importante mobilisation à l’étranger : Jack Lang, qui l’a invité au Festival mondial du théâtre de Nancy, réunit plusieurs signatures, dont celles de Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir; Arthur Miller cosigne une tribune dans le New York Times. Le 25 avril 1971, un journal brésilien s’en fait l’écho. Deux jours plus tard, Boal est autorisé à sortir de prison pour se rendre à Nancy. Il ne rentrera dans son pays qu’en 1986, à la fin de la dictature militaire.

C’est à Buenos Aires qu’il rejoint les siens. En Argentine, puis au Pérou, Augusto Boal élabore la technique du “théâtre de l’opprimé”, qu’il poursuivra à Paris, où la famille s’exile via Lisbonne après le coup d’État militaire en Argentine. Dès sa libération, Boal a commencé à écrire sur son expérience carcérale. Une pièce, Torquemada, qui dresse un parallèle entre la Grande Inquisition et la dictature. Et Miracle au Brésil. Un récit écrit à partir de ses souvenirs, mais aussi avec les notes qu’il prenait sur un carnet en différentes langues pour faire croire aux gardiens qu’il s’agissait de cours, ainsi que des de sa cellule, qu’il faisait passer à sa mère lors de ses visites. L’historienne Anaïs Fléchet écrit dans sa préface que ce “formidable témoignage sur les heures les plus sombres de la dictature brésilienne (…) dessine en creux le portraits de l’artiste et de ses luttes passées comme de ses engagements à venir”

Quand le texte paraît au Brésil, en 1979, il est lu mais au milieu d’une abondante littérature de témoignage. Julian Boal, le fils du dramaturge, lui-même auteur d’articles sur l’histoire du ‘théâtre de l’opprimé” et animateur d’ateliers dans plusieurs pays, se souvient que ce dernier était par la suite “assez mécontent” que son livre ne soit plus publié au Brésil. Aujourd’hui, tout indique à ses yeux un regain d’intérêt des Brésiliens pour les écrits sur la dictature militaire. D’abord, il y a des thématiques et des pièces de cette époque reprises par “une bonne trentaine de troupes de théâtre de São Paulo”, dit-il. Puis, il y a cette émission que sa mère propose à travers l’Institut Boal sur une chaîne YouTube, et qui reprend un concept de spectacle que son père avait monté sous la dictature. “Quatre dramaturges étaient invités à créer des scènes sur ce qu’ils pensaient de la vie au Brésil (…) Depuis le début de la pandémie, on pose la même question à des gens de théâtre. On en est au trente-cinquième épisode“, se félicite Julian Boal.

Aux éditions Chandeigne, Anne Lima espère que la parution du texte en France relancera le livre au Brésil. La réaction d’un libraire brésilien à qui elle a montré le livre la semaine dernière lui semble de bon augure. Il n’arrêtait pas de répéter à l’éditrice : “Pourquoi on a pas ça ? Pourquoi on ne publie pas ça?”

Gladys Marivat – Le Monde des livres – Mai 2021

Le titre du récit inédit en France d’Augusto Boal peut s’entendre de deux manières. Il se réfère d’une part à la période de croissance économique connue sous le régime militaire entre 1966 et 1973. Mais, d’autre part, pour le fondateur du « théâtre de l’opprimé », il s’agit de bien autre chose : « Et c’est ça, le miracle, le miracle au Brésil, le peuple est vivant, bien vivant… » D’un bout à l’autre de son témoignage bouleversant, Boal tient cette idée : la vie, comme le théâtre, est une question d’approche et de regard. A lui la distance brechtienne, l’ironie intelligente, l’amour pour ses personnages et le détail magique dans chaque scène.

On parle de personnages et de scène, car tout, dans Miracle au Brésil, semble avoir été vécu par l’auteur à travers le prisme du théâtre : sa kafkaïenne arrestation par trois hommes qui répètent trois fois tous leurs propos ; la bêtise des militaires qui saisissent son exemplaire de Le Rouge et le Noir ; et les mocos, ces compartiments aménagés par les détenus dans la cellule qu’ils partagent à huit ou dix. Un rideau, des photos, divers objets, tel un décor dans le décor. Après l’attente et la torture, qui occupent le premier tiers du livre, le récit fait se succéder les saynètes, alternant épisodes tragiques, débats politiques et bouffonneries érotiques ou scatologiques. Un pharmacien japonais, un surveillant lubrique, un ouvrier exploité du nord du pays et un cuisinier fromager partagent la compagnie de Boal. C’est un échantillon du peuple brésilien qui s’est donné rendez-vous dans sa cellule. Ce peuple qu’il a consacré toute sa vie à défendre.

Gladys Marivat – Le Monde – 7/05/2021

Radio Alfa
Émission “Passage à niveau”

Artur Silva a reçu le 9 mai 2021, Anaïs Fléchet, historienne et auteure de la préface de Miracle au Brésil d’Augusto Boal et Mathieu Dosse le traducteur de de ce récit bouleversant .

Pour écouter le podcast, veuillez cliquer ci-dessous !

Dans les geôles brésiliennes

Le 10 février 1971, le dramaturge Augusto Boal (1931-2009) est arrêté alors qu’il sort du théâtre où il joue La Résistible Ascension d’Arturo Ui de Bertolt Brecht avec sa troupe. Emprisonné, torturé, maintenu un mois au secret, le créateur du Théâtre de l’Opprimé – un théâtre «fait par le peuple et pour le peuple» – sera libéré au bout de trois mois grâce à une forte pression internationale. Le début d’un long exil. Publié pour la première fois en français, Miracle au Brésil, dont le titre est un clin d’œil à la propagande du gouvernement militaire brésilien, revient en détail sur ce séjour dans les geôles de la dictature. Il évoque aussi bien les sévices subis que le quotidien des prisonniers ou leurs discussions animées. Un document pour se souvenir et réfléchir, un texte dont la lecture s’avère passablement éprouvante mais qui conserve une distance ironique jusque dans les moments les plus noirs. Par exemple quand, lors d’une séance de torture, Augusto Boal est accusé par ses bourreaux d’avoir diffamé son pays à l’étranger… en affirmant qu’on y pratique la torture

Mireille Descombes – Le Temps – Mai 2021

La journaliste et historienne Adriana Brandão a reçu Julian Boal, le fils d’Augusto Boal dans RFI convida

Pour visionner l’entretien, veuillez cliquer ici !

Le 29 avril 2021, les éditions Chandeigne ont publié une autobiographie relatant le témoignage (mais pas seulement) d’Augusto Boal, connu comme étant le créateur du théâtre de l’Opprimé tenant aux techniques d’improvisation.

Pour se plonger et laisser ce livre entrer dans sa vie durant près de 416 pages, il faudra avoir le cœur accroché. Les sujets ne sont pas les plus joyeux mais sûrement les plus essentiels pour ne jamais oublier, pour en apprendre davantage sur l’Histoire, pour savoir et défendre.

Mathieu Dosse, docteur en Littérature Comparée, auteur sur les théories de la lecture et de la traduction et traducteur de nombreux ouvrages notamment celui d’Augusto Boal, nous a fait l’honneur de répondre à quelques questions. Celles-ci vous permettront d’être proche de l’ambiance et du message offerts par l’auteur.

Dernièrement, vous avez traduit le récit d’Augusto Boal qui est une autobiographie et une photographie du Brésil des années 1969-1973. Tisseur de lien entre l’auteur et le lecteur, vous êtes essentiel à la bonne compréhension de la pensée de départ et permettez alors à celui qui ne comprend pas la langue, de comprendre le texte. En quoi l’exercice de traduction diffère d’une autobiographie à une fiction ?

À vrai dire, je ne vois pas de différence. Ce livre d’Augusto Boal, en particulier, se lit, je pense, comme un roman. On est pris en tout cas par ce récit captivant (et terrible). Il y a une grande force qui se dégage de ces pages écrites à peine trois ans après les faits, alors que Boal était en exil. Si, comme le dit l’auteur « tout ce qui y est écrit est vrai », j’ai senti qu’il y avait aussi un grand plaisir, de la part de Boal, à raconter, à faire revivre les personnages (se camarades de cellule, bien sûr, pour qui il éprouve une grande tendresse, mais également les policiers, les tortionnaires, qui sont comparés à un moment donné à une meute de chiens). D’où, sans doute, l’humour grinçant qu’il n’abandonne jamais, même dans les moments les plus terribles.

Je ne parle pas du tout le portugais, même s’il s’agit d’une langue que j’aime entendre pour sa prosodie. Présente-t-elle des difficultés ou des particularités au moment de la traduction en français ? Quelles sont celles qui vous font tomber sous le charme de cette langue ?

Il y a dans ce récit quelques références au Brésil des années 1970 que le lecteur français aurait pu ne pas saisir. Mais les notes de bas de page sont là pour ça ! Et l’excellente préface d’Anaïs Fléchet donne toutes les clés pour comprendre les points qui auraient pu rester obscurs. Mais je crois aussi que ce livre ne parle pas que du Brésil, il a sans doute une portée universelle, car il parle d’une expérience que d’autres ont pu vivre ailleurs ou dans une autre époque (l’emprisonnement, la torture…).

Connaissiez-vous déjà le combat et le parcours d’Augusto Boal avant que l’on vous propose ce projet d’écriture ? Dans les deux cas, quelle a été votre première émotion ?

Oui, j’ai connu Augusto Boal de son vivant et je connaissais son histoire. Mais de lire son récit, et de le côtoyer, pour ainsi dire, pendant des mois, cela a été parfois éprouvant (notamment la scène terrible où il est torturé). Les moments où il parle de sa femme et de son fils, auxquels il ne veut pas penser, pour ne pas les enfermer avec lui en prison, sont peut-être les passages les plus émouvants. Mais les scènes où il décrit Maria Helena, une grande amie qui ne peut presque plus marcher après avoir été ignoblement torturée, m’ont beaucoup marqué également. Et tant d’autres passages…

Le traducteur donne de lui-même, mais à quel point ? Face à la lecture d’une œuvre avec des passages difficiles, parlant de combat, de souffrance et de drames ; comment rester impartial et bien être attentif à ne pas entraver les émotions de l’auteur avec les siennes ?

Je m’en suis tenu au texte. J’ai été sensible à l’humour de l’auteur, qu’il ne faut pas oublier. Malgré la violence endurée, Augusto Boal ne s’apitoie jamais sur son sort, il reste lucide et c’est, comme vous le dites, un livre de « combat » qu’il écrit. Contre la dictature, contre les oppresseurs. L’humour est une arme et, même dans les moments les plus sombres, il y a cette étincelle qui est là.

Ce livre vous a-t-il offert un ou des passages qui sont restés depuis ? Ces mots et moments littéraires qui marquent et nous remplissent.

Bien sûr, la scène de torture et toute la première partie, qui raconte son arrestation et son emprisonnement m’ont particulièrement marqué. Dans la seconde partie, qui se déroule entièrement dans la prison Tiradentes, où Boal est détenu dans une cellule avec d’autres camarades, d’autres prisonniers politiques, il y a une scène frappante : l’un des détenus, croyant qu’il va être libéré contre des otages, dit toute sa haine des tortionnaires et du chef de prison (qui l’écoute, ébahi…). Pour défendre ses camarades, il s’accuse lui-même de toutes leurs accusations, leurs « crimes », pour lesquels ils sont emprisonnés. Il les prend à son compte (« c’est moi qui a fait tout ça, pas eux… ») Il croit qu’il va être libéré, de toute façon, qu’il ne risque plus rien… Il insulte copieusement ses oppresseurs. Tout à coup, il comprend : non, il ne serait pas libéré, on l’a confondu avec un autre… Il est emmené en silence par les gardiens de prison et on ne le reverra plus.

Pourquoi ce livre devrait être lu ?

Je crois que c’est un livre nécessaire, surtout dans le Brésil d’aujourd’hui. Certes, par respect pour la génération de mes parents, je dois dire que la situation du Brésil actuellement n’est pas la même que sous la dictature. On ne torture pas au Brésil aujourd’hui (que je sache). Mais comment ne pas penser à Bolsonaro, un nostalgique avoué de cette période ? (et il n’est malheureusement pas le seul Brésilien à voir dans ses années sombres un âge d’or…). C’est aussi un livre qui a une portée universelle, atemporelle, et qui, à ce titre, parle aussi aux lecteurs français. Car ce récit est un témoignage d’une personne qui a vécu l’inimaginable. Qu’aurais-je fait à sa place ? Je n’ose même pas l’imaginer. Augusto Boal a vécu, comme d’autres Brésiliens à la même époque, une expérience traumatisante. Quand il la raconte, il témoigne certes d’une expérience personnelle, mais il ne cesse d’évoquer les autres détenus, « moins chanceux » que lui, qui n’ont pas survécu pour raconter, pour dénoncer ce régime oppresseur qui a détruit des vies. Dans la seconde partie du récit, d’autres voix prennent la parole et l’auteur s’efface derrière elles (Boal note tous les évènements, toutes les histoires qu’on lui raconte, dans un cahier qu’il a pu, par chance, conserver à sa sortie de prison. Comme il écrivait en français ou en espagnol, les policiers ont cru que c’étaient, comme il le disait, des recettes de cuisine !).

Cultures sauvages – Par Sandy Bory – Mai 2021

Publié en 1974 au Portugal et en 1979 au Brésil, Miracle au Brésil vient de paraître en français. Dans ce livre-témoignage, l’homme de théâtre Augusto Boal nous livre son expérience des prisons brésiliennes sous la dictature. Un témoignage fort.

São Paulo, 10 février 1971. Le dramaturge Augusto Boal sort de son théâtre après une répétition de sa pièce Simon Bolivar et s’apprête à retrouver sa femme pour dîner. En chemin, il est abordé par trois hommes en voiture et est enlevé.

“Ce qui m’arrivait était certes insolite, mais pas plus insolite que ce régime qui dirige le Brésil depuis plus de dix ans. La monstruosité de cette procédure était commune après tout.”

Accusé d’avoir un comportement subversif, comme l’étaient beaucoup d’artistes à cette époque, Boal est interrogé, isolé et torturé pendant plusieurs semaines et finit par être transféré à la prison de Tiradentes

Miracle au Brésil est le récit de cette période de la vie du fondateur du Théâtre de l’Opprimé. Ses interrogatoires, la torture, la vie carcérale. Mais c’est aussi le rappel de l’Histoire du Brésil, le rappel de ces années, les Années de Plomb, qui ont débuté avec le coup d’Etat du 31 mars 1964, Années où s’est mis en place un terrorisme d’Etat. Répression contre les opposants – politiques ou artistes -, censure, intimidations, disparitions, torture, incarcérations…

Bien sûr, Miracle au Brésil est un récit parfois sombre pourtant Augusto Boal réussit à y glisser une bonne dose d’humour, à nous faire sourire et surtout à nous parler d’espoir, de courage et d’amitié. Un témoignage fort qui fait réfléchir.

Marie Torres – Micmag.net – Mai 2021

Mathieu Dosse, docteur en littérature comparée, est l’un des spécialistes francophones de João Guimarães Rosa, le grand écrivain brésilien. Il a aussi traduit Miracle au Brésil d’Augusto Boal. Il nous en parle.

Connaissiez-vous l’histoire et le combat d’Augusto Boal avant la traduction de son ouvrage ?

Mathieu Dosse : Oui, pour être un proche de la famille, j’ai connu Augusto Boal de son vivant. J’étais donc au courant de son histoire, mais de la lire en détail et de côtoyer l’auteur, pour ainsi dire, pendant que je le traduisais, cela a été une expérience très particulière. Il faut dire que ce récit, plus que tous ses autres livres, est celui, à ma connaissance, où il parle le plus de lui notamment dans la première partie, où il est arrêté, incarcéré et torturé. Dans la seconde partie, il s’efface et laisse parler tous ses camarades, emprisonnés avec lui.

Cette traduction est-elle un choix ou une demande de l’éditeur ?

M.D. : C’est l’éditrice, Anne Lima, qui m’a demandé de le traduire. Elle a réussi à trouver un exemplaire du livre, qui n’est plus édité au Brésil, chez un bouquiniste.

Pourquoi l’avoir acceptée ?

M.D. : Je n’ai pas hésité une seconde. Non seulement parce que je connaissais Boal, mais parce que le livre est fort et je crois qu’il a toute sa place en France aujourd’hui, n’oublions pas que Boal a un rapport très étroit avec la France, notamment pour y avoir fondé le Théâtre de l’Opprimé.

Vos impressions sur cet ouvrage ?

M.D. : C’est un livre de combat, un livre nécessaire. Non seulement parce qu’il dénonce ce qui s’est passé au Brésil, mais parce qu’il garde malheureusement toute son actualité. Et l’on songe à Bolsonaro, évidemment, qui est, on le sait, un nostalgique de la dictature…

Nostalgique de la dictature ?

M.D. : Oui, cela peut sembler incroyable aux lecteurs français, mais c’est quelque chose qui n’est pas rare au Brésil, où certains Brésiliens voient la dictature comme une sorte d’âge d’or. Mais ce qu’il faut peut-être dire, c’est que c’est un livre qui a aussi une portée universelle. Ce que raconte Boal, c’est une expérience unique, qui l’a profondément marqué. S’il la raconte avec un certain détachement, avec humour même parfois, le lecteur sent bien qu’il n’en sort pas indemne. Ce livre est, à ce titre, à rapprocher de tous les témoignages d’autres auteurs, à d’autres époques, en d’autres lieux, qui racontent l’expérience de la violence extrême. On en sort glacé. C’est terrifiant. Mais c’est aussi un livre profondément humain, porteur d’un message d’espoir. Malgré toutes les souffrances, il y a des amitiés profondes qui sont nouées en prison ; et Boal a un regard très tendre envers ses camarades d’infortune.

Entretien mené par Marie Torres – Micmag.net – Mai 2021

Historienne spécialisée, en autres, dans l’histoire du Brésil et de l’Amérique Latine, Anaïs Fléchet a rédigé la préface de l’ouvrage d’Augusto Boal Miracle au Brésil. Entretien.

Miracle au Brésil, témoignage de la vie carcérale d’Augusto Boal après son arrestation en 1971, vient d’être publié en France avait-il déjà été édité ?

Anaïs Fléchet : En 1976, au Portugal, juste après la Révolution des Oeillets, période de liberté et d’effervescence culturelle. Puis au Brésil, en 1979, au moment où est votée une loi d’amnistie qui permet le retour des exilés et qui sonne la fin officielle de la dictature militaire. Une période d’ouverture progressive du régime ; les politiques répressives sont moins visibles et il y des formes d’aménagements qui permettent d’ouvrir des espaces de liberté, dont la société civile s’empare, en vue d’un retour progressif à un état démocratique. Le poids de la censure est également allégé ce qui donne la possibilité de publier ce type de témoignage.

A-t-il été réédité au Brésil ?

A.F. : Non. Après sa publication, il s’est perdu dans le flot de ce type de témoignages qui ont été très nombreux à paraître dans les années 80 au moment du retour à la démocratie. Ensuite le monde l’a oublié et, tiré à peu d’exemplaires, il est aujourd’hui très difficile à trouver dans sa version portugaise.

À quel moment Augusto Boal l’a-t-il écrit ?

A.F. :Juste après sa libération de la prison de Tiradentes. Dans ses premières années d’exil. Un peu comme un exorcisme, pour se délivrer de toute sa souffrance. Il écrit ce récit et une pièce de théâtre, Torquemada, où il établit un parallèle entre l’inquisition espagnole et le régime militaire brésilien.

Des témoignages, en fait ?

A.F. : Oui, on le sent bien à travers ces deux créations, Boal veut témoigner pour les autres, mais aussi pour lui-même, d’une expérience extrêmement douloureuse. Et cette expérience va nourrir tous ses engagements. Toute l’histoire du Théâtre de l’Opprimé.

Qu’est-ce qui vous a interpellé dans cet ouvrage .

A.F. : C’est que Boal parle de l’expérience de la prison mais aussi, indirectement, de théâtre. Il mets en scène ses geôliers, ses compagnons, il fait des références à Brecht. On devine déjà cette volonté de faire du théâtre un outil d’émancipation, qui était déjà présente avant et qui deviendra plus forte avec les pièces du Théâtre de l’Opprimé.

Que peut-on attendre de cette nouvelle parution ?

A.F. : Cette édition française redonne de l’actualité à l’ouvrage et suscitera peut-être de l’intérêt pour une nouvelle édition brésilienne. Car ce livre est aujourd’hui nécessaire. Au Brésil, depuis l’arrivée au pouvoir d’une l’extrême droite nostalgique de la dictature militaire, des pressions très fortes s’exercent sur les milieux scolaires et universitaires pour imposer une nouvelle interprétation de cette période de l’histoire. La réécriture des manuels scolaires est un très bon exemple. On ne doit plus parler aujourd’hui de « dictature militaire » ni même de « coup d’Etat » mais de « régime militaire » et de « révolution de 1964 », en reprenant la terminologie des militaires de l’époque.

Une sorte de négationnisme ?

A.F. : Exactement puisque cela vise à nier le terrorisme d’Etat des années 60/70, les atteintes aux droits humains et le statut de victime. Editer aujourd’hui des ouvrages qui viennent témoigner de ce passé c’est aussi un acte politique. C’est à la fois un témoignage nécessaire sur l’époque de la dictature militaire et une leçon de résistance.

Entretien mené par Marie Torres – Micmag.net – Mai 2021