Mia Couto face à la folie et à la sagesse des hommes
Un parfait recueil de nouvelles de l’écrivain mozambicain évoque la pandémie de Covid-19 et la guerre
Rappelez-vous le premier confinement (17 mars-11 mai 2020), ce n’est pas si loin. Quand il a fallu apprendre à se laver soigneusement les mains, à se tenir sur ses gardes à l’approche de quiconque. Nous étions dans un roman d’anticipation sociale, disions-nous. Et puis, nous nous sommes habitués. Pas Mia Couto.
Vu du Mozambique, où l’écrivain est né en 1955 de parents portugais, et où il vit toujours, certaines restrictions dues à la pandémie de Covid-19 ne s’apparentaient pas seulement à une remise en cause des libertés : elles étaient totalement absurdes. On le comprend dès la première nouvelle de son recueil Le chasseur d’éléphants invisibles Dans « Un gentil voleur », un vieil homme ouvre la porte à un homme masqué qui s’écrie : « Trois mètres, restez à trois mètres ! » « Si c’est un cambrioleur, il a peur » constate le narrateur, placide. Le vieillard « habite loin de tout, seules la faim et la guerre viennent [lui] rendre visite ». Alors, que veut ce jeune brigand avec ses surchaussures jetables et son arme en plastique ? Pourquoi parle-t-il par énigmes ? « De nos jours, on ne peut faire confiance à personne, les gens ne savent pas ce qu’ils ont à l’intérieur », déclare l’étrange visiteur qui prétend être envoyé par le gouvernement à la suite d’une grave épidémie. L’attitude la plus sage est de feindre de comprendre ce fou, pense le narrateur. Comment, en effet, appeler autrement cet homme préoccupé par le fait que le vieux tousse, quand la variole et le sida tuent chaque jour dans l’indifférence ?
Mia Couto décrit la confrontation de ces deux êtres, et c’est une perfection d’intelligence et d’ironie. Tirant ce fil dans la nouvelle suivante, « L’immortelle quarantaine », il décrit l’aberrant confinement dans un parc naturel du chasseur Lauro Tsatso. Les services sanitaires lui demandent d’appliquer la distanciation sociale… alors qu’aucun humain ne vient plus ici. Si la discordance des visions s’avère un ressort comique inépuisable, jaillit peu à peu un sentiment de gravité et d’impuissance devant l’inaction et l’incurie du gouvernement, et face à la guerre qui fait aujourd’hui des ravages dans le nord du Mozambique.
Un enfant-soldat
Cette dernière – la guerre – hante par ailleurs chaque nouvelle du recueil. On y croise des maisons en ruine, un piroguier voguant sur un fleuve déserté, ou encore un enfant-soldat, fantôme de lui-même. Dans « La fumeuse d’étoiles », des villageois fuyant les exactions dorment debout sans respirer – et envisagent d’ôter la vie d’un nouveau-né – de crainte d’être repérés. Dans « La robe rouge » une femme est libérée d’un mari violent avant de rencontrer des soldats qui hésitent entre la violer et la tuer. S’ensuit une discussion émaillée d’arguments incongrus (« Les femmes doivent être tuées dans la maison » ), et une chute troublante impliquant la vision d’un militaire en robe rouge.
Sans cesse, le recueil oscille entre folie et sagesse des hommes. Au-dessus d’eux, les étoiles et les oiseaux adoucissent l’esprit d’un rêveur, les yeux d’un aveugle. La beauté et la mort ne sont jamais loin dans ces nouvelles qui se déploient à la lisière de nos certitudes, nous laissant, à l’instar de leurs personnages, à la fois « soulagés et surpris ».
Gladys Marivat – Le Monde – Février 2023
Là où les oiseaux fabriquent le ciel
Voilà ce qu’il se passe quand une brigade de santé alerte le chasseur d’éléphants sur la marche à suivre face au Covid-19. Rester à la maison ? « Mais je suis déjà chez moi », dit-il en montrant « le paysage autour ». Délester les hôpitaux ? Mais ils sont parmi les « créatures les plus invisibles dans cette région » – sûrement au Mozambique, où vit l’auteur. Laisser ses chaussures à la porte ? Il n’en a pas ! Un exemple parmi bien d’autres de l’alliage entre candeur, absurde et poésie offert par ce fabuleux recueil de nouvelles.
Marianne Meunier – La Croix – Février 2023
Elisabeth Monteiro Rodrigues, traductrice du livre Le chasseur d’éléphants invisibles de Mia Couto, au micro d’Artur Silva dans son émission « Passage à niveau » sur Radio Alfa.
À écouter ci-dessous – Émission du dimanche 29 janvier
Célèbre auteur mozambicain né de parents portugais, Mia Couto confirme ses talents de nouvelliste avec ce recueil de 26 textes courts dans lesquels l’humour le dispute à l’ironie. Sur des sujets aussi sérieux que le Covid 19, La place des femmes dans la société africaine, le terrorisme islamique, la famille déchirée, la vieillesse ou la douleur de la mort, Mia Couto insuffle dans ses écrits une poésie empreinte de tendresse et de facétie. Ainsi le récit hilarant d’un vieil africain qui prend l’agent masqué venu l’informer d’une pandémie pour un voleur ou celui émouvant d’une jeune femme qui pleure toujours la mort de sa maman à sa naissance. Toute la sagesse et la fantaisie des contes africains sont dans cet épatant recueil.
Jean-Paul Guéry – L’Anjou – Février 2023