Pluie qui fuit

C’est un beau texte, à lire à haute voix, pour ses amis ou les enfants, comme on le fait d’un conte ou des Histoires comme ça, de Kipling. Un de ces récits créolés où l’Afrique et l’Europe s’emmêlent et dont l’écrivain mozambicain Mia Couto a le secret. Le narrateur, un petit garçon, se souvient comment, un jour, la pluie s’arrêta de tomber. Sans que personne au village n’y puisse rien : “Les gouttes virevoltaient dans l’air, puis comme des oiseaux étourdis, remontaient.” Malédiction divine ? Ou conséquence funeste des saletés déversées par l’usine géante, arrivée là, au bord du fleuve, en même temps que les blancs ? Toutes les figures chères à l’auteur de L’accordeur de silence se retrouvent ici magnifiées. Les femmes n’ont pas froid aux yeux. Quant au grand-père, c’est un (très) beau parleur : “j’ai inventé mais je n’ai pas menti (…). Chaque voyage est un fait semblant”, enseigne-t-il à son petit fils. Il y a des histoires dans l’histoire, mais on ne dévoilera pas la fin… À savourer.

Catherine Simon – Le Monde – Octobre 2014

L’élément aquatique a toujours infiltré les livres de Mia Couto, les submergeant même parfois, comme le fleuve limpide de son chef-d’oeuvre, L’accordeur de silence, capable de purifier les êtres ou de les tuer. Dans le court roman qui paraît aujourd’hui, l’eau refuse de tomber du ciel, la pluie reste en suspens au-dessus des têtes, plafond de verre à double tranchant, promesse de vie, menace d’étouffement. Cette idée à elle seule vaut le détour, d’autant qu’avec son humilité poétique habituelle l’auteur ne l’exhibe pas tambour battant. Tout n’est que grâce, altruisme et subtilité chez cet écrivain qui se place une fois encore du côté de l’enfance. Le héros est un garçon aussi gauche que clairvoyant, en proie à la dureté paternelle. Pas à pas, goutte à goutte, une conscience voit le jour. L’horizon intérieur, de ce garçon se dégage, tandis que l’écriture de Mia Couto continue de déployer ses merveilles.

Marine Landrot – Télérama – Octobre 2014

Avec cet écrivain de langue portugaise, né au Mozambique en 1955, nous entrons dans un monde où la logique est devenue une luciole un peu désemparée. Ne surtout pas essayer de comprendre, mais se laisser porter par une douce folie qui empêche la pluie de tomber : “C’était une pluie mince en suspens, flottant entre ciel et terre. Légère, ébahie, aérienne. Mes parents appelèrent ça un “pluviotis”, et ils rirent, amusés par ce mot. Jusqu’à ce que le bras de grand-père se dresse : – “Ne riez pas si fort, la pluie est en train de dormir…”

Nous sommes dans un pays où toute chose est à l’envers et où l’endroit est une langue étrangère ! Il y a le grand-père qui sèche dans son fauteuil, tout proche de celui de sa femme défunte : “Seule la chaise de grand-mère Ntoweni lui tenait compagnie. La croyance régnait dans la famille que Ntoweni s’asseyait toujours là, à écouter les rêves de son époux non défunt. Les deux étaient comme l’araignée et la rosée, l’un tissant sa toile sur l’autre.”

Il y a aussi une tante quelque peu dérangée, une mère entreprenante et un père fugueur. Au milieu, l’enfant, qui nous expédie à des lieux de nos conventions habituelles. Réjouissant.

André Rollin – Canard Enchaîné – Octobre 2014