Poussée par des vents contraires, une jonque chinoise aborde les côtes sud du Japon en 1542. A son bord, des marchands portugais prennent vite conscience du potentiel commercial de cette terra incognita des Européens. A partir de cette date, chaque année, une grande nef portugaise venant de Macao, aborde les côtes japonaises en vue d’un commerce lucratif pour les deux parties. En effet, les Daimyô, seigneurs locaux, comprennent que la puissance de feu des Européens va leur permettre de mener une guerre plus radicale contre ceux du nord. Les navires commerçants transportaient toujours avec eux, quelques missionnaires follement passionnés par le bon accueil que les Japonais leur faisaient. Ils parvinrent ainsi à convertir pas moins de 300000 fidèles locaux, toutes classes sociales confondues. C’est le début du « siècle chrétien du Japon ».

Le livre se compose d’une multitude de lettres manuscrites, surtout de missionnaires qui écrivaient à leur supérieur afin de relater l’avancée de leur mission. De nombreuses cartes nous présentent comment fut perçue, petit à petit, la réalité physique du Japon au travers de nombreux portulans par exemple. Un chapitre, au contraire, nous montre comment les Japonais percevaient les « longs nez » (moquerie très répandue à cette époque envers les Portugais).

Le livre recèle une mine de documents d’époque nous faisant apprécier la mutuelle découverte de ces deux peuples, non sans arrière-pensée de la part de chacun. Il s’agit là d’une magnifique réédition poche avec une iconographie en couleurs des plus réalistes.

Parmi les premiers témoignages de ce livre, on suit celui du R. P. Luis Frois au Japon en l’an 1585. Il y fait un comparatif entre les Européens et les Japonais sur différents thèmes : les hommes et leurs vêtements, les enfants et leurs mœurs etc… Il en ressort un regard d’une rare honnêteté car il se contente de rendre compte, pas de juger. On peut aussi trouver ce témoignage dans un volume qui lui est exclusivement consacré, chez le même éditeur sous le titre Européens et Japonais, Traité sur les contradictions et différences de mœurs, écrit par le R.P. Luis Frois au Japon, l’an 1585.

Camille Douzelet – ASIEXPO – septembre 2017

 

Les éditions Chandeigne, spécialisées dans la publication en langue française de ressources et ouvrages lusophones proposent une réédition en format poche de cet ouvrage déjà paru au cours de l’année 2013. En publiant une anthologie des premiers témoignages jésuites et japonais sur les contacts entre japonais et européens, les éditions Chandeigne poursuivent le travail entamé depuis la fondation de la maison d’édition il y a 25 ans, à savoir rendre accessible au plus grand nombre des ressources dont beaucoup connaissent l’existence, sans jamais avoir eu la chance de pouvoir les lire. C’est ici chose faite en offrant aux lecteurs les écrits de personnages clés comme Marco Polo, Fernão Mendes Pinto ou François Xavier pour la construction de l’imaginaire puis du savoir européen sur l’archipel japonais.

Une lecture adéquate de telles ressources et documents nécessitent un solide matériel historiographique et critique, ce que possède le présent ouvrage. Celui-ci s’ouvre en effet sur la préface de Rui Loureiro qui revient en quelques pages sur les premiers contacts portugais avec le Japon. L’auteur revient sur les prémices de l’empire portugais, développé en Asie autour de l’Estado da India dont Afonso Albuquerque fut le grand édificateur.

De cet ensemble de factoreries disséminées autour de l’Océan Indien, et fondées sur entreprises individuelles vont naitre les premiers contacts dans la partie orientale de l’océan : tout d’abord avec le Céleste Empire en 1513 depuis la base de Malacca puis, à la suite d’une tempête qui fit dévier un navire de sa route vers la Chine, avec l’archipel japonais, plus précisément dans l’ile de Tanegashima le 23 septembre 1543.

Comprenant la situation politique de l’archipel particulière à leur arrivée (le pays est alors en pleine guerre civile, largement fragmentés en petite seigneuries tenues par des daimyo, l’empereur n’ayant aucun pouvoir politique réel) les marchands portugais assumèrent très rapidement le rôle d’intermédiaires commerciaux entre le Japon et la Chine, participant de la sorte à la diffusion rapide de connaissances sur l’archipel dans toute la région luso-asiatique, parvenant notamment en 1547 aux oreilles du père jésuite François Xavier. Concluant très rapidement au grand potentiel missionnaire de l’archipel, lui et quelques compagnons débarquèrent en 1549 à Kagoshima pour une mission de deux années. Usant du bon accueil des marchands portugais, les missionnaires jésuites rencontrèrent de grands succès dans l’évangélisation très rapidement, convertissant rapidement une partie des populations locales voire parmi les élites [3]. Vivant totalement plongés de nombreuses années durant dans la population japonaise, les jésuites sont les plus grands pourvoyeurs de récits et documents sur cette période, apprenant la langue, observant la société et ses pratiques et transcrivant leurs travaux et observations aux autorités de Rome (en témoigne la production épistolaire de François Xavier ou encore Luis Frois).

Si toute la seconde partie du XVIème siècle fut marquée par des échanges fructueux de part et d’autres (on parle même de siècle chrétien pour le Japon de cette période, les pratiques militaires ou encore vestimentaires évoluant grandement au contact des européens), le processus de centralisation politique entrepris par le daimyo Hideyoshi, ainsi que la concurrence commerciale des hollandais, qui débarquent sur les côtes du Japon en 1600, mirent à mal les relations luso-japonaises. Accusés de constituer un contre-pouvoir au centralisme politique d’Hideyoshi puis Ieyasu, les missionnaires portugais, puis les marchands, se voient interdits de débarquer sur les côtes du pays en 1639. Ceci met fin au siècle de contacts quasi-exclusifs des portugais avec les japonais.

Cette préface est accompagnée par la suite d’un dossier cartographique réalisé par Xavier de Castro. A l’aide de 47 cartes ou extraits de cartes, l’auteur de ces pages dressent un panorama large et clair des grandes évolutions de la représentation cartographique. Des premières cartes connues dites de style « Gyoki  », en passant par la première mention européenne de Cipango dans les travaux du vénitien Fra Mauro, le célèbre globe de Martin Behaim ou encore la carte de Waldseemüller, Xavier de Castro revient sur les productions qui, teintées dans les premiers temps de fantasmes tirés des écrits de Marco Polo et de traits issus de la pure imagination de l’auteur, gagnent au fur et à mesure des découvertes et des premiers retours épistolaires des marchands et jésuites présents sur place en précision pour atteindre, dans la première moitié du XVIIème siècle, un tracé fidèle.

Le dossier cartographique cède alors la place à l’anthologie des premiers témoignages rapportés sur le Japon. Le dossier débute aux chapitres du Livre des Merveilles de Marco Polo abordant l’île quasi mythologique de Ciampagu, couvertes d’or et de perles rouges, et convoitées par les tartares (évocation des projets d’invasions mongoles de l’archipel au XIIIème siècle). Les écrits de Marco Polo sont complétés par des extraits de la lettre de Toscanelli évoquant une route maritime vers l’ouest pour aborder les côtes asiatiques et notamment Ciampagu, qui a conforté et inspiré Christophe Colomb dans son expédition. Plusieurs extraits de son journal sont présentés au lecteur, illustrant sa recherche continuelle de l’île richissime dont parle Marco Polo, qu’il pense avoir trouvé en Cuba.

Le dossier poursuit alors sur les premiers témoignages européens parvenus jusqu’à nous relatant la découverte du Japon. L’un d’eux, daté de 1548, est l’œuvre de l’espagnol Garcia de Escalante Alvarado. Celui-ci rapporte le témoignage qu’il a reçu lors d’un voyage en Asie sur la route suivie par les trois premiers portugais parvenus sur l’archipel et les premières observations faites sur les populations (descriptions, religions, modes de vie). Ce document est accompagné des écrits sur le Japon de Jorge Alvarès, premier européen ayant porté à l’écrit ses propres observations du pays, portant là aussi essentiellement sur les habitants et leur société.

Les témoignages jésuites constituent la grande majorité des sources européennes de l’époque sur la question. Ainsi les lettres des préparatifs d’expédition de François Xavier, où celui-ci témoigne de son enthousiasme et de ses grandes ambitions missionnaires pour l’archipel, ainsi que celles du père Nicolo Lancilloto pour Ignace de Loyola sont reprises dans l’ouvrage.

Bien que moins nombreuses, les sources japonaises autour de la rencontre existent. L’ouvrage présente ainsi à la lecture le Teppô-Ki, ou « Chroniques de l’arquebuses », rédigé en 1606 par le moine confucéen Nanpo Bunshi. Fixant la date exacte de l’arrivée des portugais dans la baie de Nishimura, le témoignage japonais s’attarde, comme son nom l’indique, essentiellement sur la découverte des armes à feu apportées par les européens (nommées Teppô) et convoitées par les seigneurs de l’île.

Les sources jésuites précédente sont complétées par le récit de Fernao Mendes Pinto sur l’arrivée des européens au Japon tiré de la Pérégrination. Mêlant témoignages, souvenirs et constructions romanesques, Pinto y narre l’arrivée des premiers européens au Japon, le voyage de Jorge Alvares ainsi que son propre voyage dans le pays. Les propos qu’il tient sur François Xavier sont complétés par les propres lettres du missionnaire jésuite, envoyées depuis 1549 et décrivant les entreprises du prêtre pour gagner la capitale Kyoto et convertir la population locale, sans jamais perdre espoir d’y parvenir. Les dires du jésuite sont néanmoins nuancés par le propre témoignage de Luis Frois qui put recueillir sur place toutes les difficultés, tant matérielles que morales, rencontrées par François Xavier dans sa tâche. Enfin la grande lettre de François Xavier sur le Japon, rédigée à son retour en 1552, et constituant son dernier témoignage avant son départ pour la Chine et sa mort durant le trajet termine l’ouvrage. Durant quelques pages François Xavier revient sur les pratiques religieuses japonaises et rappelle combien il pense la conversion du pays possible, avant de se tourner vers la Chine, qu’il considère comme son grand objectif.

Les éditions Chandeigne offrent ici un ouvrage que l’on peut qualifier d’essentiel pour qui souhaite aborder la période clé où l’Europe entra en contact avec le Japon. Très riche sur le plan de l’iconographie, avec de magnifiques reproductions de cartes en couleur, celui-ci est accompagné d’une très solide contextualisation des documents ainsi que d’un matériel scientifique et critique large permettant de mieux appréhender les documents à l’aune de l’historiographie contemporaine. Un magnifique recueil donc pour qui porte un intérêt à cette période.

Geoffrey Maréchal – Les clionautes – septembre 2017

 

Top poche

Illustré des toutes premières cartes et nourri de témoignages des marins, marchands et jésuites portugais qui découvrirent le Japon, cet ouvrage est un  vrai roman d’aventures. Au mitan du XVIè siècle, le dénommé Jorge Alvares découvre la réalité nippone et consigne ses observations. Il note tout : le sens de l’hospitalité des villageois, la manière expéditive qu’ils ont de punir l’auteur d’un larcin – “tous le poursuivent et se jettent sur lui à grand coups de dague” -, la nourriture, les règles auxquelles obéissent les relations familiales… Les japonais, eux, furent stupéfaits par l’arquebuse, étrange engin inconnu décrit dans le Teppôki, texte japonais écrit en 1606 : “On le remplissait d’une poudre miraculeuse et on lui mettait des petites boules de plomb. (…) Un tir de cet engin pouvait faire tomber une montagne d’argent et traverser un mur de fer”…

Gilles Heuré – Télérama – 24 juin