La découverte des marranes. Les crypto-juifs au Portugal
En 1917, Samuel Schwarz (1880-1953), un juif polonais ingénieur des mines, en mission dans le nord du Portugal, fait une découverte dont il pressent aussitôt qu’elle va faire sensation : qu’il existe en plein XXe siècle, à Belmonte au Portugal, un pays démocratique et républicain d’Europe, des Juifs qui vivent extérieurement comme des Chrétiens mais qui, en secret, ont maintenu certaines pratiques juives depuis l’époque des persécutions : ce sont ce qu’on appelle des « Marranes ». Pendant huit ans, il fait un véritable travail d’ethnographie, observant la trentaine de communautés dispersées dans les régions de Beira et de Trás-os-montes : il relève leurs pratiques et leurs rites, leurs techniques de dissimulation, leurs coutumes culinaires; il retranscrit aussi leurs prières. Lorsqu’en 1925, il publie l’ouvrage qu’il en a tiré, il attire l’attention du Judaïsme ashkénaze et plus largement du monde occidental sur ce phénomène, ignoré mais ô combien significatif, des crypto-juifs du Portugal.
L’ouvrage, en lui-même, est relativement court : une cinquantaine de pages où, après quelques considérations générales, l’auteur fait le récit des conditions de sa découverte, présente un aperçu historique des communautés qu’il a visitées et dresse la liste nominative – noms et professions – de ces nouveaux chrétiens. Il décrit ensuite les coutumes et les diverses cérémonies juives religieuses ou de la vie courante dont il a observé la trace. Ce premier ouvrage est suivi d’un recueil bilingue de « Prières marranes »: prières quotidiennes et prières diverses (traduites par Florence Levi, Anne-Marie Quint et Bernard Tissier); et par des extraits du procès de Brites Henriques devant l’inquisition de Lisbonne en 1674.
L’ensemble est préfacé par Nathan Wachtel, qui insiste sur la singularité et l’extrême originalité de cette œuvre, qui répond de manière exemplaire à la double exigence de la rigueur scientifique et de la piété du souvenir. Il est introduit par une longue présentation (p. 19-56) de Livia Parnes qui rappelle l’histoire des Juifs portugais, fait le portrait de Samuel Schwarz et analyse son travail au « croisement de l’érudition et de l’idéalisation ». Un cahier de photographies (en noir et blanc) complète l’ouvrage qui fait honneur à son auteur.
Yves Chevalier – Revue Sens – juillet – août 2017