Plus d’un siècle après sa première ­parution, en 1917, que vient nous dire ­Humus, le chef d’œuvre du romancier portugais Raul Brandao (1867-1930) ?

La voix impitoyable de son narrateur, son acuité terrible, n’ont rien perdu de leur pouvoir de fascination. Entre affliction et dégoût, son journal entremêle la description du train-train d’un village, une réflexion profonde sur la finitude humaine et des visions étranges de personnages, tel le « Gueux », « un être qui vient de l’irréel », probablement en communication directe avec le mystère de la vie. Les personnages de Brandão attendent la mort. L’écrivain voit dans leurs attitudes la manifestation de ce qui les agite : jalousie, ennui, amertume, avarice. Les personnages de Brandão entendent la mort : elle est omniprésente dans les pierres qui s’effritent, la mousse et la pourriture qui recouvrent les maisons. Le narrateur se reconnaît en eux. Tous ont en commun d’être visités par « le rêve ». « Le rêve trouble la ville comme le printemps trouble cet étang, qui n’est que boue et azur : il le colore et l’agite. Mais l’habitude a si bien imprégné la vie que l’on cohabite avec la peur et que l’on continue d’aller au bureau. » Les éditions Chandeigne, qui le rééditent, qualifient Humus d’«antichambre» du Livre de l’intranquillité (Christian ­Bourgois, 1988-1992), de Fernando Pessoa (1888-1935). Il a influencé un siècle d’écrivains portugais, dont le Prix ­Nobel José Saramago (1922-2010), qui le cite comme son livre préféré.

Gladys Marivat – Le Monde – Mars 2023