Samuel Titan reçu par Artur Silva dans son émission Passage à niveau sur Radio Alfa pour parler de Histoire d’un vaurien de Manuel Antônio de Almeida.

Almeida parce qu’il le vaurien

C’est un roman qui se réclame d’une telle désinvolture que non seulement l’auteur semble toujours redouter que l’histoire n’ennuie son lecteur, mais aussi qu’elle ne l’ennuie personnellement. Il n’y a pourtant rien à craindre : Histoire d’un vaurien (dont la précédente édition était titrée, conformément au titre original, Mémoires d’un sergent de milice) est on ne peut plus amusant, conformément à sa nature de roman-feuilleton (il parut dans la presse brésilienne en 1852) et est l’unique œuvre de Manuel Antônio de Almeida, né à Rio en 1831 et mort en 1861. Voyons donc comment l’auteur traite son personnage dès le deuxième chapitre : «Passons sur les premières années de la vie de notre héros sans nous y attarder et allons le retrouver à l’âge de sept ans.» Chapitre XI : «Maintenant que nous avons fourni les explications du chapitre précédent, revenons à notre héros que nous avons failli oublier.» Chapitre XVIII : «Nos lecteurs doivent être fatigués de toutes ces histoires d’espiègleries. Ils connaissent déjà l’enfance de notre héros et les espoirs qu’il inspirait pour l’avenir./ Sautons donc quelques années pour voir ce que ces espoirs sont devenus.» Le temps ayant passé, sont évoquées les évolutions de certains protagonistes. Puis cette phrase qui facilite la vie de l’auteur et des lecteurs : «Les autres personnages demeurèrent les mêmes.» Auparavant, on avait déjà rencontré «un projet dont nous informerons nos lecteurs au moment de sa réalisation, si par hasard ils ne l’avaient pas déjà deviné». Après la mort d’un mauvais mari : «A cette époque-là [l’intrigue débute dans les premières années du XIXe siècle, ndlr] ni les oraisons funèbres, ni les nécrologies, aujourd’hui si fréquentes, n’étaient encore à la mode. C’est autant de gagné pour nos lecteurs.»

Dans sa postface, Samuel Titan montre comment Leonardo, le «vaurien», est «un avatar du trickster, ce héros rusé qui sait échapper au destin, à renfort de mauvais coups et de fourberies. […] Ainsi naît le malandro, un genre à la postérité abondante, dans un arc de cercle qui va de la rapsodie qu’est Macounaïma, de Mario de Andrade, dont le protagoniste est un « héros sans aucun caractère », à la chanson populaire, en passant par les emplois quotidiens du terme, dans lesquels se mêlent réprobation et admiration, véhémence et tendresse.» Leonardo est «enfant d’un écrasement de pied et d’un pincement de main» puisque, en fait de drague et séduction, son futur père pratiqua d’abord l’écrasement auquel la future mère répondit par le pincement. Lequel père est un sentimental : «Mais le bonhomme était romantique, comme on dit aujourd’hui, ou nigaud, comme on disait alors ; il ne pouvait faire sans une petite passion en train.» Leonardo le fils a-t-il vraiment «la bosse du sacerdoce» comme l’espère son parrain barbier qui veut en faire un prêtre ? Sa marraine aurait-elle visé plus juste en souhaitant pour lui une carrière d’avocat ? Non : «Il ne fit rien de cela, ni tout autre chose : il se fit voyou, voyou ex cathedra, voyou par excellence.» Mais l’excellence, dans ce roman, est l’apanage de l’auteur, et les personnages ratent tout, même la carrière pour laquelle ils semblaient avoir le plus de prédisposition. «Les choses en étaient là et l’on commença à faire courir dans le voisinage un bruit aussi malveillant qu’exact» : cette phrase n’apparaît qu’une fois mais elle aurait sa place en diverses occasions.

Leonardo travaille aux «cuisines royales» quand apparaît une jeune fille habitant avec un valet. Histoire d’une liaison : «Il se rendait chez la jeune fille dans l’intention extrêmement louable de lui porter une écuelle de la soupe dont le roi venait de se servir… Une simple attention de marmiton à laquelle il n’y a rien à redire. Il y aurait eu par contre beaucoup à redire aux manières de la personne qui, se voyant l’objet de telles attentions, n’eût pas cherché à les payer d’un excès de courtoisie. Ainsi la jeune personne invita-t-elle Leonardo à l’aider à prendre la soupe. D’autre part Leonardo eût été un véritable barbare de ne pas accepter une aussi aimable invitation. Il accepta donc.» On voit comme les choses vont vite, d’autant que le valet entre à l’improviste. Mais c’est le propre de Leonardo «que pour lui il n’y avait pas de chance qui ne se transformât en guigne, ni de guigne qui ne se transformât en chance». L’auteur ne tient pas pour sa part à ce que le malheur atteigne la vitalité de son livre et c’est pourquoi la dernière phrase du dernier chapitre, intitulé «Conclusion heureuse», annonce la mort d’un personnage, puis d’un autre, «ainsi que toute une série d’événements tristes dont nous épargnerons le récit à nos lecteurs, en terminant ici cette histoire».

Mathieu Lindon – Libération – Avril 2017

Vous cherchez un livre original et jubilatoire, à savourer dans votre hamac durant les vacances d’été ? Courez donc vous procurer cette Histoire d’un vaurien, injustement méconnue en France, et qui nous est enfin proposée grâce au superbe travail des éditions Chandeigne.

Considéré comme l’un des chefs-d’œuvre de la littérature brésilienne, écrit et publié sous forme de feuilleton dans un journal de Rio de Janeiro en 1852-1853, ce texte inspira nombre de grands écrivains tels Machado de Assis, Lima Barreto ou Chico Buarque. Et on comprend pourquoi !

Baroque et foisonnante, l’histoire se compose d’une série de chapitres et saynètes pleines d’humour, qui ont pour fil conducteur un jeune homme fort peu ordinaire nommé Leonardo. Nous sont ainsi contées les aventures et mésaventures de tout ordre de ce parfait et génial anti-héros, qui n’a vraiment rien de commun avec les héros romantiques de son époque, pour notre plus grand bonheur.

On dit Leonardo né « d’un écrasement de pied et d’un pincement », en référence à la manière dont se sont connus ses parents, au cours d’un voyage en mer du Portugal au Brésil. C’est un enfant difficile, qui semble anticiper les difficultés qui l’attendent en ce monde. Et elles sont nombreuses, il faut dire : abandonné par sa mère, Maria, qui s’enfuit avec un capitaine de navire, puis par son père, Leonardo-Pataca, un indolent huissier dont il porte le prénom, il est finalement recueilli par un barbier, un parrain qui le prend sous son aile. Lequel tente de l’envoyer à l’école et essaye bien de lui inculquer quelques principes, mais qui s’avère être aussi un drôle de roublard…

Si le petit Leonardo fait les quatre cents coups, l’adolescence et les années qui passent ne vont rien changer à l’affaire, bien au contraire . Au grand dam de son imbécile de géniteur, que l’on envoie chercher pour réparer les erreurs de sa progéniture, et qui n’est ni un modèle de vertu et de finesse lui-même, ni un bourreau de travail. Bref, cultivant un penchant certain pour l’inconvenance et l’effronterie, malin mais pas tant que ça non plus, Leonardo-fils a de qui tenir et choisit très tôt de vouer sa vie à l’oisiveté.

Il est le génial malandro si bien décrit dans toute la littérature populaire brésilienne, le voyou habile, le mauvais garçon, le malandrin adepte de la paresse et de la débrouillardise. Nous voilà donc suivant ses frasques, prouesses, incartades amoureuses et démêlés avec la justice, entraînés dans les aventures rocambolesques et fort amusantes du jeune effronté, qui a, certes, une propension évidente à s’attirer les ennuis, mais s’attire également sans mal notre entière sympathie.

Manuel Antônio De Almeida nous livre ici la peinture joyeuse et authentique d’une époque et de la ville métissée et haute en couleur qu’était Rio de Janeiro, dans laquelle évolue une foule de personnages pittoresques et pleins de vigueur. Sur un ton familier et accrocheur, qui enchantera le lecteur, l’auteur nous fait le récit satirique des frasques de ce voyou attachant, qui semble toujours sur le point de se faire p(r)endre mais qui arrive à surmonter tous les drames et se pose en rebelle à l’ordre établi de par ses choix et mode de vie.

Drôle et dépaysante, cette chronique historique et picaresque, très enlevée, aux dialogues pleins de saveur, se dévore comme les romans d’aventure de notre jeunesse et fera passer un excellent moment aux curieux qui décideront de prendre le large.

Sandrine Malliver Perrin – Addict-Culture – 12 juillet 2017