L'homme en mouvement

Paul naît fin janvier 1905 à Kiev, grandit à Zurich, s’engage, après un bref séjour derrière les barreaux, dans une usine de tracteurs dans la Russie de Staline. Il traverse les montagnes de l’Altaï à cheval avant de donner des nouvelles depuis Tbilissi. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il se terre dans une usine de salpêtre au Chili, puis réapparaît, sous un nouveau nom, en tant que mécanicien de la marine américaine. Qu’il sillonne l’océan Pacifique dans les années 1950 ou qu’il s’improvise marchand de biens à Anchorage, c’est la contemplation de la mer qui le console de la perte des liens et des racines. Sa vie, attentive au monde sensible et à l’instant présent, le maintien éloigné du cercle magique de la maison familiale et à l’abri des devoirs citoyens. Soutenu et protégé par son frère aîné, Paul, l’homme en mouvement, aura traversé le 20e siècle comme un somnambule égaré dans un palais des glaces.

Dans ce récit, Patrick Straumann part sur les traces d’un personnage attachant malgré ses zones d’ombres. Il brosse le portrait d’un membre de sa famille qui le fascine autant qu’il lui échappe. Paul, son grandoncle, le frère de son grand-père, benjamin de la fratrie, est aussi le « mouton noir » de cette famille. Patrick Straumann parvient avec pudeur et délicatesse à retracer le parcours de quelqu’un qui n’est plus et qui s’est, semble-t-il, efforcé à ne pas laisser trop de traces.

Quelques rares cartes postales et sa correspondance épisodique avec son grand frère donnent des pistes à l’auteur pour conduire sa recherche. Avec esprit d’aventure et sans frontières, Paul a tracé sa route. Il reste insaisissable, même pour sa famille. L’aura de mystère. qui entoure son personnage perdure et le narrateur la laisse intacte. Patrick Straumann, dans un style délicat et épuré, ne se permet aucune familiarité, aucun jugement. Certaines choses n’appartiennent qu’à nous-même et sont condamnées à s’envoler avec le temps.