Le Brésil, sans ballon

Le Brésil est devenu le pays du football, mais il ne se résume pas au sport roi. D’autres disciplines ont marqué son histoire et lui permettent d’espérer des médailles cet été

Fance Télévisions a joué des clichés dans sa bande-annonce des Jeux : une partie de foot dans les rues d’une favela se déchaîne quand le barbecue s’en-flamme comme une vasque olympique : les joueurs font des courses, des lancers, des sauts, des plongeons qui balaient le champ de l’omnisports, le ballon suit des trajectoires de volley et de basket.

À Rio, à la fin du XIXe siècle, Flamengo et Vasco de Gama étaient des clubs huppés d’aviron (Clube de regatas est encore leur nom) qui allaient attendre une dizaine d’années pour accueillir le football, après d’autres sports. Si le foot allait devenir le sport ultra-dominant car populaire du jeune pays, c’est sur le modèle anglais, par les classes sociales les plus élevées et les disciplines militaires que les autres sports se sont développés.
Par l’élite et l’armée
Michel Raspaud, historien, en fait le récit dans un passionnant petit ouvrage (lire ci-dessous). Plein d’actualité puisque 145 des 465 membres de la délégation brésilienne sont issus de l’armée. À l’origine, ce sont les disciplines militaires (gymnastique, natation, escrime, équitation, tir) qui ont essaimé au milieu du 19e avec les régates, le turf, l’aviron puis le tennis.
L’immigration massive et très internationale, qui fait décoller le peuplement des États de Rio et Sao Paulo, élargit le spectre sportif, quoique pour une population restreinte. Arrivent le cricket, le basket et le volley par la YMCA (Association chrétienne de la jeunesse américaine), la pelote basque, le cyclisme. Le Brésil, roi du… triple saut
Ce n’est donc pas un hasard si le Brésil obtient en tir, ses trois premières médailles, en 1920, à Anvers. Une de chaque métal, par Guilherme Paraense. Il faut attendre 1948 pour les suivantes. Jusqu’à 1980, Jeux de Moscou inclus, les moissons sont modestes, moins de cinq breloques au total par olympiade. Le Brésil brille en basket masculin, et surtout en triple saut, spécialité auriverde avec des médailles d’or pour Adhemar Ferreira da Silva (1952 et 1956) argent ou bronze pour ses successeurs en continu de 1962 à 1980, soit 6 du total de 18 podiums entre 1952 et 1980 !
Le Brésil décolle (huit médailles) à partir de Los Angeles (1984) avec l’athlétisme (Joaquim Cruz sur 800 m), le judo et le volley, une spécialité brésilienne, version Beach-volley comprise, et la voile. Torben Grael et Robert Scheidt figurent par-mi les grands de la voile olympique. Le second (5 médailles dont deux d’or) naviguera en Laser à Rio, le premier (même palmarès aux JO) sera représenté par sa fille et son fils. Rodrigo Pessoa (équitation, 3 médailles dont une en or) est une autre figure.
Ne cherchez pas le foot dans le tableau des médailles d’or : jamais le Brésil ne l’a emporté ni avec les filles ni avec les garçons. La sélection de Neymar et celle de Marta tenteront d’entrer dans l’histoire. En espérant que la mission ne les rendra pas aussi fébrile que la seleção lors du Mondial 2014, balayée (7-1) par l’Allemagne en demie. Les équipes de basket, de volley et de beach-volley porteront avec autant d’ambitions les espoirs de médaille, et sans doute avec davantage de sérénité.

« Le Brésil n’a pas notre maillage de petits clubs »

« Sud Ouest » En dehors du football et du volley, quels sports olympiques seront les plus populaires auprès du public brésilien ? Et ceux qui comptent les plus de licenciés ?
Michel Raspaud Pendant les Jeux, tous les sports seront suivis : bien évidemment, le football, le volley et le beach-volley, où les équipes féminines et masculines sont très fortes. On en parle peu, mais le judo brésilien est aussi de très bon niveau, comme la gymnastique, et la natation, malgré l’absence de la figure de proue des Brésiliens, César Cielo. S’agissant des licenciés, il est très difficile d’avoir des chiffres fiables au-près des fédérations, ce qui signale le manque de politique nationale. Une enquête menée en 2013 par le Ministère brésilien des Sports sur la pratique sportive permet de constater la surdimension du football, l’importance du volley, deuxième sport masculin mais premier pour les femmes. Suivent la natation, le futsal, la course à pied, la marche, le handball, le basket-ball…
Les inégalités sociales sont-elles responsables d’une inégalité devant le sport ?
C’est évident. Le football est un sport populaire, aussi au sens économique du terme. Sinon, tous les autres sont des sports d’élite sociale. Cela est lié à l’organisation du sport. L’État fédéral comme les États fédérés sont très peu interventionnistes dans la politique d’équipement. Il faut rappeler qu’il n’existe pas au Brésil le même maillage de petits clubs que nous possédons en Europe. Les grands clubs onmisports brésiliens sont très éloignés des quartiers populaires et des favelas, très coûteux pour le Brésilien moyen, souvent du niveau du Racing Club de France. À part quelques athlètes issus des favelas grâce au travail d’ONG et de fondations, tous les autres viennent de l’élite sociale. C’est particulière-ment vrai pour l’aviron ou la voile. Que va t-il rester de cette décennie en or du sport brésilien, des Jeux Panaméricains de 2007 à Rio 2016, en passant par le Mondial 2014 ? Je relève dans mon livre le coût de la corruption, les dépassements de budget, l’état de déshérence d’équipements comme les stades du Mondial. Les investissements des pouvoirs publics se sont concentrés dans les stades, pas dans les équipements publics. Pourtant, les systèmes d’aides ont amorcé une vraie politique de développement du sport. Mais la crise économique, qui impose déjà des réductions de dé-penses dans la société, amènera sans doute des coupes encore plus drastiques dans le sport, une fois les Jeux et la quête de médailles passées. Recueilli par P. F.

Journal SudOuest – Patrick Favier – Juillet 2016